Un quart de roue. C’est tout ce qui séparait Mathieu van der Poel de Wout Van Aert après 243 kilomètres. Autant dire pas grand-chose. Un quart de roue d’avance qui offrait son premier monument à celui dont le père, Adrie, avait remporté la même course en 1986. On serait tenté de dire le premier, mais pas le dernier. Un peu comme ce que l’on avait dit à Wout Van Aert, ce soir du 8 août 2020, quand celui-ci régla Julian Alaphilippe au sprint sur la via Roma. Deux mois plus tard, à Oudenaarde, c’est donc Mathieu qui rejoint son meilleur ennemi dans le palmarès des courses cyclistes les plus prestigieuses du World Tour. Un partout, balle au centre. 

En voyant ce sprint aussi serré que ces routes pavées qui gravissent les monts des Flandres, on pourrait facilement se dire que les deux prodiges ont dominé la course de la tête et des épaules. Ce ne serait pourtant pas tout à fait vrai. Car si WVA et MVDP se sont payé une belle rando en duo de 35 bornes, aucun des deux ne peut toutefois se targuer d’avoir déclenché les hostilités. Ils ont en effet « seulement » répondu à une attaque tranchante de Julian Alaphilippe sur une portion pavée entre le Koppenberg et le Taaienberg, à 39 bornes du but. C’est d’abord le champion néerlandais qui prit la roue du récent champion du monde, voyant rapidement le danger de laisser filer le Français qui faisait ses débuts sur les pavés des Flandres. Puis, quelques centaines de mètres plus tard, c’est le maillot jaune de Van Aert qui se pointait derrière les deux hommes qui entamaient à un train d’enfer la montée du Taaienberg. Derrière ? Plus rien. Le trio était en train de s’envoler dans les brumes de la légende pour se disputer le dernier monument d’une saison diablement étrange. Mais 2020 étant 2020, les choses ne pouvaient pas être si simples. Car quelques centaines de mètres après avoir avalé le douzième mont au menu de la journée, on retrouva Alaphilippe face contre terre derrière ses deux compagnons qui se retournèrent au même moment pour constater que le maillot arc-en-ciel leur faisait faux bond. Depuis ce 27 septembre à Imola, le Français semble à son tour rattrapé par la malédiction du maillot irisé, jusqu’à ce qu’il prenne de plein fouet, hier, une moto qui ne pouvait pas faire grand-chose de plus pour s’écarter. Bien trop souvent, les véhicules suiveurs sont à blâmer pour leur comportement stupide, voire dangereux pour les coureurs. Mais dimanche, c’est un malheureux concours de circonstances qui s’est produit, et qui penche presque sur une faute du coureur lui-même, aussi bête soit-elle. 

Il restait donc 35 kilomètres pour que van der Poel et Van Aert continuent à bâtir la légende de leur rivalité, commencée il y a déjà bien longtemps dans les sous-bois boueux. C’est maintenant sur les routes asphaltées qu’ils doivent remplir les pages d’un second chapitre que tout le monde attend somptueux. Personne ne saurait dire lequel des deux pourra clamer haut et fort à la fin de sa carrière qu’il a eu le meilleur sur son adversaire. Les points se compteront en nombre de victoires dans les monuments ou d’autres courses aussi prestigieuses. Mais si toutes nous donnent le même frisson que celui qui nous a traversé l’échine hier, alors on est prêt à en prendre pour longtemps. Ce sprint au bout de cette longue ligne droite légendaire va nous laisser un souvenir impérissable, un sprint que même l’absence de spectateurs survoltés ne pourra estomper. Un sprint remporté d’un quart de roue. Autant dire pas grand-chose.

 

Pendant qu’une partie du peloton professionnel s’étripait sur les pavés et les monts de la belle Flandre, une autre s’amusait à monter en haut de Piancavallo, somment mythique du Giro où Marco Pantani a assis sa légende. Quoique s’amuser reste une bien étrange tournure de phrase, sauf si voir un peloton dynamité et des coureurs partout sur une montée sèche de 14 kilomètres vous fait rire. Là-haut, Tao Geoghegan Hart aurait presque fait oublier le nom imprononçable de Steven Kruijswijk. Mais il a surtout prouvé ses talents de grimpeur, dans une étape où Wilco Kelderman a peut-être construit quelque chose d’intéressant, tandis que João Almeida s’est accroché au courage. Aux dernières nouvelles, le Giro se poursuit pour aborder une troisième semaine aussi époustouflante pour les spectateurs qu’elle peut être éprouvante pour les coureurs. Et de l’autre côté des Pyrénées, la Vuelta doit prendre son envol pour terminer une première semaine ô combien difficile dimanche prochain, en haut du Tourmalet, à 2 115 mètres d’altitude. Quand bien même j’aurais une boule de cristal dans les mains, je serais incapable d’y lire dedans. Alors, vous dire qui de la neige ou de la COVID aura raison de la fin d’une saison particulière, c’est au-dessus de mes humbles capacités. Mais ce que je sais, c’est qu’on va manger du cyclisme jusqu’à l’indigestion. On aura bien le temps de digérer tout ça après.