On pourrait épiloguer pendant des heures sur cette arrivée bizarre où un champion du monde célèbre les bras en l’air, alors qu’il se fait passer sur la ligne par l’un de ses rivaux. Julian Alaphilippe a commis une bourde. Même deux si on regarde son écart pendant le sprint qui empêche clairement Marc Hirschi d’aller réclamer un doublé Flèche Wallonne-Liège-Bastogne-Liège réalisé une dizaine de fois par le passé. Les commissaires de course ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, reléguant le Français à la dernière place de ce petit groupe qui s’était extirpé dans la côte de la Roche aux Faucons, sous l’impulsion d’un Alaphilippe qui n’avait pas laissé ses jambes sur le circuit d’Imola. Le jeune prodige suisse doit d’ailleurs être encore plutôt frustré au lendemain d’une course qu’il a encore une fois maîtrisée, lui qui a dû décliper sa pédale à 50 mètres de la ligne alors qu’il filait tout droit décrocher sa première Doyenne, quelques jours seulement après avoir décoché une flèche pour épingler sa première classique en haut du mur de Huy. Ce sera finalement Primoz Roglic qui ira accrocher un monument à son palmarès, au nez et à la barbe du champion du monde. On connaît de pires façons de se consoler d’une désillusion aussi terrible que celle du Tour. 

On a déjà connu course plus folle que cette 106e édition de Liège-Bastogne-Liège. Le pétard lancé par Julian Alaphilippe dans la Roche aux Faucons, la dernière des 11 ascensions du jour, n’a pas su faire oublier cette longue course d’attente qui l’a précédé. Pourtant, la Doyenne a des armes à faire valoir, avec un trio de cotes plutôt redoutable dans les 35 derniers kilomètres. Mais on connait tous l’adage : les organisateurs proposent, les coureurs disposent, un peu comme ces étapes reines de grands tours qui nous proposent tant de cols mythiques, mais qui se jouent dans les deux derniers kilomètres de la dernière ascension. Personne ne peut en vouloir aux coureurs qui ne font finalement que suivre des stratégies de course échafaudées dans le secret des bus d’équipes et ajustées grâce à la magie des oreillettes. Après tout, c’est le cyclisme moderne, celui qui laisse de moins en moins de place aux sensations et à l’improvisation. Mais on prendrait volontiers plus de ces attaques folles dont de jeunes loups comme Remco Evenepoel ou Mathieu van der Poel semblent s’être fait spécialistes. La veille seulement, le virtuose batave avait placé une des mines dont il a le secret dans le mur de Grammont, à 50 bornes de l’arrivée, pour aller décrocher la victoire finale dans le Binc Bank Tour. La Doyenne mériterait qu’on se batte pour elle, et pas seulement dans sa dernière difficulté. On en vient même à regretter le retrait de la côte de Saint-Nicolas et cette arrivée dans ce long faux plat montant vers Ans, remplacé depuis une couple d’années par cette descente insipide d’une dizaine de bornes. Même si ça n’enlève absolument rien à la belle victoire de Roglic, on l’aurait aimée plus étincelante.

 

Pendant ce temps, en Sicile, s’élançait un Giro que l’on pourrait aisément qualifier de « Tour des feuilles mortes », n’en déplaise à un Tour de Lombardie disputé sous une chaleur estivale. 2020 n’en finit plus de bousculer tous nos repères, mais ça a au moins le don de nous offrir quand même un calendrier des plus alléchants jusqu’au mois de novembre : 2 grands tours qui s’enchainent, deux monuments à se disputer sur les pavés du nord et plus de 40 jours consécutifs avec une course ou étape catégorisée World Tour. Mais ça, c’est si ce diable de COVID nous fout un peu la paix. Quoi qu’il en soit, le Giro nous a déjà réservé son lot de drame en à peine trois jours de course. C’est Miguel Angel Lopez qui chute sur le contre-la-montre du premier jour; c’est Alksandr Vlasov, malade, qui abandonne le lendemain; c’est Geraint Thomas qui roule sur un bidon dans le départ fictif et qui traine ses blessures et sa misère sur les pentes de l’Etna plus de 10 minutes après l’arrivée des principaux protagonistes au maillot rose, moins Yates, largué à la loyale, lui. Bref, un vrai jeu de massacre qui nous promet trois semaines un peu folles, comme le Giro a l’habitude de nous en offrir. Pour peu que la neige s’invite en troisième semaine...