MONTRÉAL - Quand Kim Boutin se présentera à l'aréna Maurice-Richard pour les Championnats mondiaux de patinage de vitesse courte piste cette fin de semaine, elle n'aura pas d'objectif précis en tête. Elle ne vise pas un certain nombre de médailles ou le podium au classement cumulatif. Elle souhaite simplement s'amuser et apprendre de cette expérience.

S'il peut paraître étrange d'entendre une triple médaillée olympique y aller de ce genre de commentaires, c'est toutefois cette approche qui explique en partie le succès de la patineuse âgée de 23 ans lors des Jeux de PyeongChang, le mois dernier.

« Pour certains athlètes, avoir un objectif au niveau du résultat va créer une forme de stress qui permet d'augmenter la performance, a récemment expliqué le préparateur mental de l'équipe canadienne de courte piste, Fabien Abejean. Pour d'autres athlètes, comme Kim, il ne faut pas nécessairement mettre l'accent sur le résultat. Il faut plutôt se concentrer sur comment elle se sent dans la course. Nous avons compris avec le temps que son type de motivation était différent. »

Boutin a laissé sa marque sur les Jeux de PyeongChang grâce à une médaille d'argent au 1000 mètres et des médailles de bronze au 500 et au 1500 m. Ses succès lui ont valu l'honneur ultime, alors qu'elle a porté le drapeau du Canada lors de la cérémonie de clôture.

La Sherbrookoise a connu un parcours difficile avant d'arriver en Corée du Sud. Elle a pris une pause de son sport lors de la saison 2015-2016 pour guérir une blessure au dos, mais aussi pour améliorer sa préparation mentale. À son retour, elle a gagné une première épreuve individuelle sur le circuit de la Coupe du monde en 2016-2017, puis a brillé l'automne dernier avant de marquer l'imaginaire aux Jeux olympiques.

« Kim, c'est quelqu'un qui a besoin d'un plan, a expliqué Abejean, qui a aussi travaillé depuis 2008 avec les olympiens canadiens en plongeon, en judo et en surf des neiges, entre autres. Un plan, c'est bien, mais c'est restrictif. Si on sort du plan, qu'est-ce qu'on fait? C'est pour ça que nous avons travaillé sur sa capacité d'adaptation. »

Concrètement, Abejean a donné des outils à Boutin pour contrôler ses émotions autant dans une course qu'entre les courses. Il s'agit autant d'un travail d'imagerie – de simulation de situations de stress – que d'un travail de contrôle de la respiration.

« L'émotion, elle doit la reconnaître, apprendre à la gérer, puis l'accepter, pour qu'elle se reconcentre sur le travail à faire », a expliqué celui qui a déjà joué au soccer professionnel en France pendant deux saisons, ainsi qu'avec les Carabins de l'Université de Montréal.

Boutin a su bien assimiler les enseignements d'Abejean, qui détient des maîtrises dans le domaine de la psychologie sportive de l'Université de Toulouse et de l'Université de Montréal. C'est en partie grâce à ses conseils qu'elle a su tourner la page après qu'elle eut été victime de harcèlement en ligne à la suite de sa première médaille olympique, quand des partisans sud-coréens l'ont blâmée pour la disqualification d'une rivale.

« Au début de sa journée de compétition suivante, c'était difficile, a raconté Abejean. Son retour à l'aréna a occasionné beaucoup d'émotions. Mais les outils que nous avons utilisés ont été faciles à mettre en place et en l'espace de cinq minutes, la perspective avait été complètement changée pour qu'elle puisse être en mesure de bien courir.

« Ses coéquipiers ont aussi été fantastiques. Ils se sont réunis et ils l'ont aidée. Ils lui ont parlé. C'est aussi grâce à eux qu'elle a commencé à rebondir et à se reconstruire mentalement pour le reste des Jeux. »

Boutin sera donc sereine, peu importe les résultats au cours de la fin de semaine. Et ce sera la même chose pour sa coéquipière Marianne St-Gelais, même si cette dernière se retrouvera dans une situation différente et nouvelle malgré ses 28 ans.

Après un parcours ponctué de trois médailles olympiques d'argent, St-Gelais en sera à sa dernière compétition en carrière. La patineuse de Saint-Félicien s'attend à vivre de grandes émotions, mais Abejean la prépare pour ce moment depuis longtemps.

« Jusqu'à un certain point, un trop-plein d'émotions, ce n'est pas grave, a noté Abejean. Parfois, mettre des limitations à la façon de vivre un obstacle, ça crée un stress ou de l'anxiété. Dans un moment d'intensité comme ça, on ne contrôle pas ce qui va arriver. Il est mieux de se préparer à vivre quelque chose d'extraordinaire et de se laisser le vivre, plutôt que de créer une anxiété en devant le vivre d'une certaine façon.

« C'était le plan aux Jeux olympiques et Marianne était d'accord pour suivre le même plan jusqu'aux Mondiaux. »

Encore une fois, il y a eu un travail d'imagerie pour anticiper le moment. Mais Abejean espère voir un travail de longue haleine rapporter des dividendes.

« Au cours des trois dernières années, nous avons beaucoup travaillé pour séparer l'athlète de la personne, a-t-il expliqué. Aujourd'hui, l'athlète donne tout sur la glace et peu importe le résultat, la personne reste équilibrée. Ça permet à Marianne d'aborder ce moment de manière sereine parce qu'elle sait que la personne va continuer sa vie et bénéficier de ses expériences comme athlète. »

Elle pourra ainsi accrocher ses patins en sachant que Boutin est prête à prendre la relève.