Nino Benvenuti, le Jean Béliveau de l'Italie
COLLABORATION SPÉCIALE
Durant mon passage avec l'équipe nationale du Canada de 1990 à 1997, mon plus proche collaborateur était « Le Maestro » Franco Falcinelli, l'entraineur-chef de l'équipe d'Italie.
Il devait bien être une dizaine d'années plus âgé que moi. Je l'ai rencontré la première fois en décembre 1982 à Montréal lors du « Duel Match » Canada contre Italie qu'on avait organisé au Centre Claude Robillard.
Le clou de la soirée avait été le match titanesque chez les poids lourds entre Willie de Wit de l'Alberta contre la grande vedette italienne Francesco Damiani, qui l'a emporté par une décision partagée 3-2, alors qu'il y avait 3 juges italiens sur le panel contre 2 Canadiens.
De Wit chez les lourds et Damiani chez les super lourds devaient tous les deux remporter la médaille d'argent aux Jeux olympiques de Los Angeles 2 ans plus tard en 1984.
Je me souviens qu'on avait gardé ici la squadra de Falcinelli une dizaine de jours. Gaby Mancini, qui était le président du comité organisateur, avait sollicité les restaurants italiens de la métropole pour accueillir les invités. La réponse avait été telle qu'il n'y avait pas eu assez de diner et de soupers pour répondre à toutes les offres.
Il y a eu de nombreux échanges semblables les années suivantes. À cette époque, le Canada comme l'Italie étaient des puissances internationales en boxe amateur.
En 1990, quand j'ai été nommé entraineur national, Franco est le premier à m'avoir félicité. Il m'a en quelque sorte pris sous son aile et j'ai énormément appris de lui. On a organisé de nombreux camps d'entrainement ensemble et on se côtoyait lors des tournois internationaux. On partageait nos opinions et nos connaissances sur les boxeurs que nos représentants respectifs devaient affronter.
Au début des années 1990, j'étais à Trieste en Italie pour un autre match de deux rencontres avec l'équipe locale.
Durant la soirée, j'ai bien remarqué un homme élégant, très sollicité pour poser et signer des autographes, par les spectateurs. Chaque fois qu'un boxeur italien montait sur le ring, il lui faisait un signe révérencieux.
Après la première soirée, Franco me demande de le rejoindre parce qu'il voulait me présenter. Je m'approche et il dit tout simplement Nino je te présente Yvon Michel, le chef de la délégation canadienne. Ce dernier m'accueille d'un grand sourire et me félicite pour la performance de nos boxeurs.
Franco me dit que je suis invité à la réception d'après combat et que Nino va être assis à notre table.
À voir le grand respect que tous lui accordaient et l'importance qu'il semblait dégager, j'ai pensé que Nino était peut-être un parrain de la mafia qui avait peut-être des intérêts sur certains combattants.
Je sais ça fait cliché, mais il y avait bien au Québec Frank Cotroni qui était un fervent de boxe, impliqué dans la gestion de certains boxeurs.
Je me présente donc avec mon groupe à la réception. Alors que les Canadiens sont vêtus en survêtement officiel de l'équipe, c'est en vestons cravate que les boxeurs italiens nous reçoivent.
Je m'installe à la gauche de Franco et Nino est à sa droite. Alors que l'orchestre joue beaucoup plus de l'allegro que de l'adagio, on a un peu de la difficulté à se comprendre entre les nombreux plats qui sont servis.
Nino est vraiment très sympathique, il pose beaucoup de questions et est attentif aux réponses. Il me dit qu'il a déjà boxé au Canada, à Toronto et qu'il avait été très bien reçu. J'ai compris qu'il avait été un bon boxeur et que maintenant il travaillait pour la télévision.
Le lendemain Franco me demande comment j'avais trouvé Nino. Très charmant je lui ai répondu, mais tu ne m'as pas dit quel était son nom de famille? Il s'esclaffe de rire! « Vaffanculo, tu ne l'as pas reconnu? BENVENUTI cretino! »
Mais oui, j'ai passé une soirée complète à manger, boire du vin et jaser de tout sauf de sa fabuleuse carrière au grandioso Nino Benvenuti. Je l'interpelais même par son prénom! Je me suis évidemment senti un peu idiot. Par contre, même si j'avais beaucoup entendu parler de lui, je ne l'avais jamais vu boxer, sa carrière s'étendant de 1961 à 1971, bien avant mon éducation à la boxe professionnelle.
Il est décédé mercredi dernier à 87 ans. Il habitait Trieste, c'est pourquoi il était un spectateur attentif à notre rencontre internationale.
Il a non seulement été le boxeur par excellence de l'histoire de la boxe italienne, mais l'un des athlètes les plus adulés de l'histoire du sport du pays.
Sa fiche amateure est de 119-1. Il a toujours prétendu que ça devrait être 120-0 ayant été déclaré perdant dans un combat en Turquie contre un représentant local qui aurait été, selon tous les observateurs, un vol manifeste.
Il a non seulement mérité l'or aux Jeux olympiques de Rome en 1960, mais a aussi reçu le trophée Val Barker remis au pugiliste par excellence du tournoi, devant Muhammad Ali, champion chez les mi-lourds.
Sa carrière professionnelle qui a suivi fut tout simplement prodigieuse.
Après 56 victoires consécutives, il détrône son compatriote Sandro Mazzinghi pour les titres WBC et WBA des super mi-moyens.
C'est avec une fiche de 65-0 qu'il va affronter Ki Soo Kim en Corée du Sud en 1966 pour défendre ses deux titres. Il avait battu ce dernier en préliminaire aux JO de Rome en 1960. Il s'incline cette fois par décision partagée.
Il décide alors de faire campagne chez les moyens et il détrône, l'année suivante, le légendaire Emile Griffith, pour les titres unifiés WBC et WBA, par décision unanime en 15 rounds, le combat de l'année selon Ring Magazine.
C'est le début d'une trilogie où Griffith reprend sa couronne par décision majoritaire cinq mois plus tard pour la concéder à nouveau aux points en mars 1968.
Après 4 défenses réussies, il s'attaque finalement à plus fort que lui alors que Carlos Monzon lui passe le K.-O. au douzième pour le détrôner, à Rome en 1970 et dans une tentative pour reconquérir contre l'Argentin, au Stade de Fontvieille, à Monaco, Benvenuti s'effondre au troisième et il met fin à sa carrière.
Il accrochera ses gants à 33 ans avec une fiche de 82-7-1, 35 K.-O. et la conquête de titres mondiaux unifiés, la WBO et IBF n'existait pas à cette époque, dans deux divisions de poids.
Selon la Bible de la boxe, Nino serait le boxeur numéro 1 de l'histoire de la division des 154 livres et le 18e chez les poids moyens.
J'ai aussi vérifié, c'est bien vrai que Nino a bien boxé à Toronto une fois dans sa carrière. C'était au Maple Leaf Gardens, un combat de 10 rounds qu'il a remporté contre l'Américain Art Hernandez, le 17 septembre 1968. Sur le programme, il y avait aussi George Chuvalo et Clyde Gray.
Durant son après carrière, il a bien géré ses gains en effectuant des placements judicieux, a figuré dans quelques films où il n'a pas eu autant de succès que Marvin Hagler, mais il a connu une belle carrière à la télévision.
Nino Benvenuti aura toute sa vie été un modèle et un ambassadeur pour le sport hors pair, un peu à l'image de Jean Béliveau chez nous.
Il a toujours gardé contact avec Emile Griffith et Carlos Monzon.
Il a fait venir l'Américain en Italie quand ce dernier a eu des ennuis de santé et de finances et l'a soutenu jusqu'à son décès en 2013.
Il a visité l'Argentin en prison lui qui a été incarcéré pour le meurtre d'Alicia Muniz, son épouse en 1988. À ses funérailles en 1995, il sera l'un des porteurs de son cercueil.
Nino Benvenuti, comme notre Jean Béliveau, n'aura laissé que des amis derrière lui. Il aura été un boxeur fabuleux, un athlète émérite, mais surtout un être humain chaleureux qui aura toujours été une personne noble et droite.
Ma mémoire avait depuis longtemps oublié mon étonnante rencontre avec lui que l'annonce de son décès aura ravivée. Sic itur ad astra (C'est ainsi qu'on s'élève jusqu'aux astres.)
À la semaine prochaine!
Bonne boxe!