Une revanche qui sera encore plus spectaculaire
COLLABORATION SPÉCIALE
Nous sommes le 12 octobre au Kingdom Arena de Riyad et le combat d'unification entre le champion WBC, WBO et IBF des mi-lourds Artur Beterbiev et le champion WBA Dmitrii Bivol vient de se terminer après 12 rounds plutôt tactiques.
C'est Artur qui a mené la dernière charge, qui a assené les derniers coups alors que son excellence Turki Alalshikh vient de de quitter son siège et tape sur le tablier du ring pour encourager son protégé, Bivol.
Un match d'échec à haute vitesse qui a ravi les puristes, mais qui a laissé les amateurs de sensations fortes sur leur appétit.
Bivol lève les bras vainqueurs et se dirige vers son coin, où on l'accueille d'une longue étreinte. Eddie Hearn jubile en rejoignant son équipe. C'est la fête dans le coin bleu.
Beterbiev, lui, retourne dans le coin rouge sans émotion. Il a le dos tourné quand Marc Ramsay et son équipe le rejoignent, mais il n'y a pas de manifestation émotive.
Est-ce que l'équipe de Bivol s'exprime dans une ultime tentative pour influencer les juges, les commentateurs et la foule? Est-ce qu'on est convaincu de mériter la victoire, ou bien on est soulagé d'avoir traversé péniblement les trois derniers rounds sans chuter?
Le langage corporel du Québécois d'adoption qui va entendre le verdict des juges pour la première fois de sa carrière professionnelle a sûrement des appréhensions. Il pense peut-être à ses deux plus grandes déceptions en carrière, des verdicts des juges défavorables à ses deux tentatives pour remporter une médaille d'or olympique contre Oleksandr Usyk à Londres en 2012 et le Chinois Kiaoping Zhang à Beijing en 2008.
Pour Beterbiev, c'est peut-être aussi le sentiment du travail accompli parce que c'est son approche habituelle, la boxe étant pour lui un métier comme un autre.
On aperçoit soudainement le représentant de Top Rank, Carl Moretti, qui fait un clin d'œil à Ramsay qui hoche la tête pour exprimer un signe appréciateur. On vient de lui dire que la victoire est acquise, il passe le message à Artur qui reste totalement impassible.
On continue de festoyer dans le coin de Bivol, qui cherche le regard approbateur qu'il obtient de ses nombreux supporteurs dans la foule.
Les commentateurs dans leurs analyses penchent sensiblement pour Bivol en soulignant sa précision et ses explosions. D'ailleurs, la production, tout au long du combat, a favorisé le jeune homme de 34 ans en ponctuant plus fréquemment ses coups spectaculaires que ceux de son adversaire presque quadragénaire.
Puis, l'excellent Michael Buffer annonce 114-114, 115-113 et 116-112 pour le vainqueur par décision majoritaire, et champion unifié des mi-lourds... Artuuuuuuur Beterrrrrrbiev.
Le protégé de Bob Arum est allé chercher une victoire méritée dans le bastion de son adversaire, alors que tout l'establishment de la boxe en Arabie Saoudite souhaitait la victoire de Bivol.
On organise la revanche
En conférence de presse d'après-combat, les deux grands boxeurs sont d'accord pour participer à un combat revanche, mais quand?
Selon Bob Arum, qui représente le champion, une revanche doit avoir lieu, mais probablement pas avant un an. Son raisonnement allant comme suit :
- Les deux boxeurs ont besoin de repos après un affrontement aussi intense, surtout Artur qui aura 40 ans bientôt;
- Le Ramadan, qui est inviolable pour Beterbiev, débute le 28 février 2025. Ça ne laisse que quatre mois d'écart. C'est trop peu pour un bon repos et une bonne préparation pour le champion;
- La dernière fois que Beterbiev a eu un espacement de quatre mois seulement ou moins entre deux combats remonte à il y a 10 ans en 2015, alors qu'il avait 29 ans;
- Il y a quatre aspirants obligatoires qui attendent leur tour et le légendaire promoteur est convaincu qu'il faudra en honorer au moins un avant la revanche;
Compte tenu des circonstances, Arum pensait que Bivol devrait prendre un combat pour confirmer qu'il est le meilleur aspirant contre un David Benavidez, alors que quelque part en mai ou juin, Beterbiev pourrait s'acquitter de son aspirant obligatoire IBF, Michael Eifert (13-1-0, 5 K.-O.), qui est dans cette position depuis sa victoire contre Jean Pascal il y a près de deux ans.
Eddie Hearn, le promoteur de Bivol, ne voulait rien savoir de combats intérimaires et il s'est mis immédiatement à solliciter les quatre organismes de sanction, le WBC, la WBA, l'IBF et la WBO, d'ordonner immédiatement un nouveau combat parce qu'il dénonçait comme injuste le verdict.
Ses appels n'ont pas été reçus.
Alors que tout le monde tergiversait et scénarisait, celui qui détenait la véritable clé pour la suite était son Émir Alalshikh, qui avait sa propre idée et les moyens pour l'accomplir.
Il a choisi d'abord le dernier samedi avant le Ramadan, le 22 février, et a réservé le Kingdom Arena. Pour que ça fonctionne, il n'avait qu'une seule personne à convaincre : Artur Beterbiev. Si ce dernier refuse, point de salut. S'il accepte, alors Bingo! Tout le reste va suivre.
C'est ainsi que ça s'est passé. Artur en a parlé à son équipe, alors que le premier combat n'a laissé aucune marque, ni blessure ou traces. Autre avantage, si le délai avait été d'un an, il risquait de vieillir durant cette période, mais en quatre mois, ce sera imperceptible.
Enfin, avant le premier affrontement, Artur a dû subir une chirurgie à un genou et sa préparation en a souffert. Cette fois-ci, aucun travers et la préparation a été optimale!
« The Last Crescendo »
La table est maintenant mise après les nombreuses conférences de presse, les sessions de photos, marketing et publicité. Tout le monde est de retour au pays de la grande Mosquée al-Harâm pour ce qu'on intitule « The Last Crescendo ».
Beterbiev/Bivol II couronne une grande messe arabe qui inclut sept combats de championnat du monde, dont deux dans la division reine. Un programme formidable et fastueux que seul son excellence d'Arabie avait les moyens d'organiser.
Au premier combat entre ces deux géants, on a vu un Beterbiev méthodique lancer sur tout ce qui bougeait devant lui et forcer Bivol à être responsable et prudent défensivement.
Bivol a dominé le début des hostilités grâce à sa rapidité, ses déplacements et ses explosions vives et précises.
La différence a été l'effet des coups sur l'opposant. Les explosions de Bivol sur Beterbiev ont stimulé ce dernier à charger rapidement pour profiter des ouvertures que ça crée en défense.
Cependant, les coups de Beterbiev sur Bivol ont été dévastateurs. Chaque attaque de massue a eu un effet immédiat qui a obligé Bivol à être réservé et attentif. Après le combat en octobre, il disait que ses mains le faisaient souffrir, pas à cause de ses frappes, mais parce qu'il a dû bloquer celles de son opposant.
Pour la revanche, Bivol a dit en entrevue qu'il devrait lancer plus de coups et avoir plus d'endurance. Il a raison, c'est ce qu'il doit faire, mais est-ce possible?
L'endurance a plusieurs facettes : celle pour lancer des coups et celle pour les absorber, tout ça sur une période de 12 rounds. En fait, l'endurance a toujours été son talon d'Achille. En 12 K.-O. en carrière, il en a obtenu un seul après six rounds et aucun après huit.
Bivol boxe avec intelligence et ses atouts sont sa vitesse supérieure, ses combinaisons explosives, ses déplacements précis et sa technique solide.
Cependant, en général, Bivol perd de la vélocité dans ses coups après huit rounds, et ce même quand il domine totalement ses adversaires et qu'il n'est pas diminué par les attaques de l'autre. Craig Richard (18-4-1, 11 K.-O.), qui a perdu une décision contre Bivol en 2021, disait que ses coups n'avaient plus d'impact à compter du 10e round.
En octobre dernier, c'est dans les trois derniers rounds que Bivol a couru à sa perte, alors qui n'était plus capable de suivre le rythme implacable de Beterbiev. Il s'en est fallu de peu pour qu'il visite le tapis au 10e.
Beterbiev, de son côté, est aussi dangereux du premier au dernier round. Ses adversaires ont l'impression que ses poings sont en acier trempé. Il a passé le K.-O. à 21 de ses adversaires, dont deux fois au 10e round et une fois au 12e.
Il n'est pas seulement un matraqueur, il boxe avec énormément de subtilité. Il est méthodique, mais créatif. Il attaque en volume, en combinaisons, pas au hasard, mais avec intension.
Il ne bouge pas beaucoup la tête en défense, mais c'est son attaque qui est sa meilleure défense.
Si déficience il y a, ce sont les premiers rounds. Il a besoin de temps pour comprendre et trouver la solution. Il a visité le tapis à deux reprises en carrière et ce fut au premier round contre Jeff Page fils en 2014 et au deuxième contre Callum Johnson en 2018. Ces chutes ne l'ont pas ralenti; il a pulvérisé les auteurs de ces affronts au deuxième et au quatrième rounds.
Et le vainqueur est...
Alors, après analyse on réalise que d'un côté comme de l'autre, la victoire est possible. Les deux grands pugilistes ont des atouts propres où ils ont l'avantage.
Maintenant, la victoire repose sur la stratégie que chacun va déployer pour imposer sa volonté.
Bivol est plus explosif, plus vif et plus rapide en début de combat au moment où le monarque des mi-lourds est le plus vulnérable. Il est presque inévitable que le favori de la place va s'imposer dans la première partie du combat.
Dans toutes ses entrevues et ses déclarations, celui dont le plus grand fait d'armes est d'avoir vaincu Canelo Alvarez semble anxieux de prendre sa revanche et se présente le couteau entre les dents, très émotif.
Beterbiev, lui, depuis son arrivée à Riyad est détendu, souriant et déborde de confiance. Il a même fait des blagues avec le promoteur de Bivol, Eddie Hearn, en conférence de presse.
Hearn lui a dit : « Tu veux dire qu'on est des grands amis toi et moi? »
« Oui certainement. Tu m'amènes des adversaires et moi je les bats », de répondre Beterbiev, déclenchant le rire de l'assistance.
Alors, comment ça devrait se passer au premier son de cloche?
Je m'attends à ce que Bivol bondisse sur le roi Artur dès le départ avec acharnement, intensité, et qu'il lui fasse vivre « O.K. Corral! ». Pour l'emporter, il doit rapidement s'imposer, mais encore plus, il doit s'assurer d'ébranler le Québécois et que ses charges soient corrosives et débilitantes, afin de diminuer la résistance de son adversaire pour le reste du combat.
Ce n'est pas impossible et ça doit arriver dans les trois premiers rounds.
En cas d'échec, si Beterbiev n'est pas ébranlé, s'il sort indemne physiquement de cette charge du Régiment de la 7e cavalerie, alors le sort de l'assaillant sera scellé comme le général Custer à la Bataille de Little Big Horn.
Graduellement, Beterbiev va reprendre le contrôle et plus les rounds vont passer, plus la résistance et la volonté de Bivol va se briser, lui qui aura déployé tellement d'énergie en début de combat.
À mon avis, c'est le scénario auquel on va assister et ma prédiction est que les jambes et la détermination de l'ancien champion WBA vont le lâcher quelque part autour du 11e round.
Le combat va être plus spectaculaire que la première fois parce que moins cérébral, plus émotif et dramatique.
Cette performance va confirmer la place d'Artur Beterbiev très près du sommet des meilleurs boxeurs mi-lourds de l'histoire, juste une coche en bas de Roy Jones fils.
Nouvelles de dernière minute de Riyad
On a trouvé deux boxeurs de remplacement pour Joe Parker (35-3-0, 23 K.-O.) et Shakur Stevenson.
Parker devait combattre le champion IBF des lourds Daniel Dubois, qui a été déclaré malade jeudi avant la dernière conférence de presse. Il a été remplacé par le dangereux Martin Bakole (21-1-0, 16 K.-O.), lui qui a fait la leçon à l'ex-grand espoir américain des lourds Jared Anderson (18-1-0, 15 K.-O.) à Los Angeles l'été dernier.
C'est le titre WBO intérimaire de Parker qui sera à l'enjeu. La perte de Dubois est un peu décevante, mais ce nouveau combat est tout à fait intriguant et ne manque pas d'intérêt.
Pour l'autre, le jeune Floyd Schofield (18-0-0, 12 K.-O.) a été hospitalisé, ayant vraisemblablement eu un empoisonnement alimentaire et a été déclaré inapte à affronter Shakur Stevenson (22-0-0, 10 K.-O.). Il est remplacé par le Britannique Josh Padley (15-0-0, 4 K.-O.).
On a également changé le site qui accueillera ce grand rassemblement. Prévu d'abord pour le Kingdom Arena qui contient 25 000 sièges, on a décidé à la dernière minute de relocaliser les combats au « The Venue Riyadh », un amphithéâtre de 6000 places avec pour objectif de créer plus d'atmosphère durant la soirée.
Bonne boxe!