BROOKLYN, New York – Tout au fond de la pièce, sur une grande table brune, un four à micro-ondes sert accessoirement d’espace de rangement pour quelques chaudrons. Une casserole repose sur l’une des deux plaques de cuisson électriques qui se trouvent sur la droite, juste à côté d’un cuiseur à riz et d’une cafetière. En face, sur un meuble beige défraîchi, une portion de patates douces est en train de rôtir dans un minuscule four qui date d’une autre époque.

Gabriel DrapeauC’est tout. Dans le loft du centre-ville de Brooklyn où loge le chef cuisinier mandaté de superviser la récupération d’Olivier Aubin-Mercier, la liste des instruments pouvant servir à cuisiner s’arrête là.

« Pas le choix! », s’exclame Gabriel Drapeau, le grand responsable de l’odeur exquise qui enveloppe le quartier général de l’entourage du combattant québécois pendant la semaine de l’UFC 223.

« Au Joe Beef, notre force a toujours été de faire de grandes choses avec rien, explique celui qui a travaillé pendant deux ans comme chef du populaire restaurant montréalais. On croit qu’on peut faire n’importe quoi avec n’importe quoi. Ça, c’en est un exemple. Tantôt, j’ai cuit du bacon au micro-ondes... »

C’est dans l’institution du quartier Saint-Henri que Drapeau a fait la connaissance d’Aubin-Mercier, un client régulier avec qui il s’est vite découvert des affinités. Avec le temps, les deux hommes sont devenus de grands amis. « On a le même sens de l’humour louche, on aime le paintball, les jeux d’évasion. Nos blondes sont de bonnes amies. On est toujours ensemble, mais on ne parle jamais de combats. »

En novembre dernier, Drapeau et son complice Marc-Olivier Frappier, qui est propriétaire du restaurant Vin Papillon et du bar à vin Mon Lapin, ont suivi Georges St-Pierre à New York pour combler l’appétit de son équipe dans les jours précédant son grand retour contre Michael Bisping. « Ça a été tellement trippant que quand ça a été fini, Marco et moi on s’est regardés et on s’est dit : "On fait Brooklyn!" », raconte le cuistot.

« Avec Georges, ça se passe dans une suite à deux étages tandis que nous, c’est dans un petit appartement. Mais c’est le même principe, note Philippe Lepage, l’un des gérants des deux athlètes. Tout ce qu’on peut faire pour mettre les chances de leur côté, on le fait. »

Drapeau et Frappier ont travaillé étroitement avec Jean-François Gaudreau, le conseiller en nutrition d’Aubin-Mercier. En début de camp d’entraînement, les trois hommes se sont rencontrés pour s’entendre sur un plan de match. Gaudreau établit la ligne directrice, les deux autres y ajoutent la couleur de leur choix.

« S’il nous dit qu’il doit manger 150 grammes de poulet avec deux tasses de légumes, on fait juste penser à quelque chose qui serait le fun. Dans le fond, il est chorégraphe et nous, on est les maîtres de danse. On s’arrange pour que la valse se fasse bien. »

Ambiance festive

Vers midi et quart, un peu plus de deux heures après s’être soumis à la pesée officielle de l’UFC 223, Aubin-Mercier cogne à la porte du loft, qui est situé à une dizaine de minutes de marche de son hôtel. « C’est quand même hipster, c’est mon genre... Je suis jaloux, man! », lance-t-il à son arrivée dans le repère.

L’avant-midi a été plus mouvementé que prévu pour « Team OAM ». Max Holloway, un autre poids léger qui devait faire les frais du combat principal du gala, s’est fait évincer de la carte en raison d’une coupe de poids problématique. Flairant l’opportunité, le Québécois s’est assuré de s’ingérer dans les recherches pour un remplaçant. 

Aubin-Mercier fait le poids

« Je me suis fait dire qu’ils veulent juste des gars du top-15, relate-t-il en s’assoyant dans un futon grinçant. Eh, j’espère juste que ça ne sera pas Dunham! »

« J’avoue, man, il est 14e, réalise Lévis Labrie, l’un de ses entraîneurs. Tu vas peut-être te battre contre Pettis! »

Aubin-Mercier éclate de rire à la réalisation de ce scénario loufoque. On ne croirait pas être en compagnie d’un gars qui, le lendemain, encaissera des coups de poings sur la gueule dans une cage en acier devant des milliers de personnes qui souhaiteront le voir saigner.

« Tous les combattants ont des nutritionnistes maintenant, mais il y en qui, pendant toute la semaine, vont manger des noix et des affaires qui ne goûtent rien conservées dans des Tupperware. C’est dur pour le moral. Nous, on se dit que tout ce qu’on peut faire pour améliorer la qualité de vie des gars pendant ces semaines-là et, surtout, les 24 dernières heures qui sont vraiment difficiles, on le fait, réitère Philippe Lepage. Au moins, pendant la demi-heure où il est en train de manger, il est heureux. »

Oliiver Aubin-Mercier - nourritureEn cuisine, Drapeau met la touche finale au repas du midi.

« C’est un poulet rôti avec du paprika fumé. Par-dessus, j’ajoute une charmoula que j’ai faite avec de la coriandre, de la menthe et du cumin. Normalement, il peut manger une cuillère à soupe et demie d’huile. Pour ce repas-là, au lieu de l’utiliser pour la cuisson, je l’utilise pour faire une vinaigrette. »

Comme au resto, ou presque, le chef soigne la présentation de sa création en essuyant les contours de l’assiette et fait lui-même les quelques pas qui le séparent de la salle à manger. Son client s’assoie devant une table frêle à l’aspect métallique, face aux quatre grandes fenêtres qui fournissent l’appart en lumière. Il s’empare de son téléphone pour photographier son plat, le redépose et passe à l’attaque.

Huit repas en 30 heures

Le premier service ne fait pas le poids devant l’appétit du guerrier. Pour savourer sa victoire par décision unanime face à son assiette vide, Aubin-Mercier se sert l’un des muffins – sans gluten! – que lui a cuisinés sa copine Florence et va s’étendre sur le lit. Lentement, il sent ses organes reprendre leur fonctionnement normal.

Olivier Aubin-Mercier« Avant, je me bourrais de pain et de pâtes et je me sentais tellement mal, mon ventre brûlait, se remémore-t-il. À chaque fois, je me disais que je ne le ferais plus, mais je finissais toujours par recommencer. »

Gabriel Drapeau relit le menu complet qu’il a concocté pour l’après-pesée. Déjà, il doit penser au prochain repas. Lorsque son ami prendra la direction de l’aréna, samedi, il l’aura servi huit fois dans un intervalle d’une trentaine d’heures. Et lorsqu’il l’observera partir à la quête d’une quatrième victoire consécutive dans l’octogone, il sera convaincu qu’il aura joué un rôle important dans la qualité de sa performance.

« C’est beau avoir des nutritionnistes, mais être entouré de gens qui sont en restauration, de chefs qui connaissent la game, ça a un impact direct, croit cet ancien karatéka qui dédie une quinzaine d’heures par semaine à l’entraînement au gym H2O. Sur la route pour venir ici, je suis arrêté chez un restaurateur que je connaissais à Stone Ridge, à 45 minutes d’ici, et j’ai ramené le meilleur filet de bœuf qui existe aux États-Unis. Sans mes contacts, je serais en train de courir partout pour essayer de trouver les bons ingrédients. Mais je suis bien entouré et ça crée un entourage tellement positif autour d’Oli. C’est juste du positif pour lui. »

Aubin-Mercier cogne des clous. Plutôt que de retourner à l’hôtel, il opte pour une sieste rapide dans le loft. Ça sera moins compliqué quand sonnera l’heure de son prochain repas.

« Aimes-tu les asperges, Oli? »

« Oui, c’est genre mon légume préféré! », s’exclame-t-il avant de disparaître dans la chambre à coucher.