MONTRÉAL – Cycliste le plus dominant de la dernière décennie, Chris Froome a été réduit au rôle de figurant en 2020.

Gravement blessé lors d’une sortie de routine il y a un an au Critérium du Dauphiné, Froome n’a pu reconquérir son statut de meneur incontestable au sein de la puissante INEOS. Relégué derrière les Bernal, Thomas et Carapaz, le Britannique n’a jamais été dans le coup dans les petits comme les grands rendez-vous. Sa 86e place au contre-la-montre de la Vuelta résume à elle seule la forme avec laquelle le double vainqueur de l’épreuve s’est engagé dans sa onzième saison sur le World Tour.

Froome aura 36 ans quand sera lancée la prochaine saison des grands tours. Rares sont les compétiteurs qui ont su s’élever au-dessus du peloton dans les compétitions majeures à cet âge. Firmin Lambot, le plus vieux gagnant de l’histoire du Tour de France, l’a fait en 1922. Plus impressionnant encore, l’Américain Chris Horner avait 41 ans lorsqu’il a remporté le Tour d’Espagne en 2013.  

Sylvan Adams fait le pari que le quadruple champion de la Grande Boucle a encore quelques grandes victoires dans les jambes. L’homme d’affaires montréalais a frappé un grand coup au cours de l’été en convainquant Froome de transférer chez Israel Start-Up Nation, une jeune formation dont il est le copropriétaire et qui vient de conclure sa première année dans la première division du circuit de cyclisme sur route de l’UCI.

En Froome, Adams croit avoir trouvé le coureur vedette qui propulsera son équipe à l’avant-plan. Chez Israel Start-Up Nation, le vétéran retrouvera le rôle de leader qui était en train de lui échapper ailleurs. Tout le monde y trouve son compte.

« J’avais lu dans une revue de cyclisme que Chris n’était pas nécessairement certain de continuer avec son équipe actuelle, INEOS, a raconté Adams lors d’un entretien avec RDS. Je n’aurais jamais cru que Chris Froome ne terminerait pas sa carrière là-bas! Alors j’ai obtenu son numéro de téléphone et ses coordonnées. Ça a commencé avec un courriel et finalement, on s’est arrangé un appel sur Zoom ensemble. »

Le premier contact a duré 40 minutes. « Peut-être une heure », corrige Adams, qui dit avoir pris le contrôle de la conversation à laquelle participait également Kjell Olof Carlström, le directeur général d’ISU, et un autre Montréalais, Paulo Saldanha, le directeur de la performance de l’équipe. Devant son écran, Froome a posé ses questions. Serait-il bien entouré? Pourrait-il avoir son mot à dire dans certains dossiers? Son opinion serait-elle prise en compte?

« Quant à moi, un gars qui a gagné quatre fois le Tour de France veut contribuer et donner des conseils, je dis "absolument!". La question ne se pose même pas, poursuit Adams. À la fin de cette première conversation, Chris a dit : "Je suis chez Sky et INEOS depuis onze ans et jamais je n’ai eu pareille conversation avec [le directeur général] Dale Brailsford". Alors je savais que la première vente était bonne! »

Au fil des discussions subséquentes, des réponses ont été fournies, des stratégies ont été élaborées et une belle symbiose s’est installée entre l’athlète et ses soupirants.  

« Finalement il a dit : "Ok, moi je suis convaincu. Parlez à mon avocat et finissez les termes du contrat", relate Adams. On n’avait pas du tout parlé d’argent avec lui. Son avocat était pas mal féroce comme négociateur, mais finalement on a complété le contrat. »

Bien entouré

En juillet, le site VeloNews rapportait que Froome n’avait pas passé d’examens médicaux avant de signer les papiers qui confirmaient sa venue chez Israel Start-Up Nation. Adams affirme par contre que ses hommes ont mis la main sur toutes les données de performance amassées par INEOS au cours des dix dernières années.

Ce qu’ils y ont déchiffré leur permet de croire que le Chris Froome de jadis pourrait se révéler dans ses nouvelles couleurs.

« Quand on a commencé à regarder ses chiffres, on a vu qu’il y avait un déséquilibre de plus de 20% » entre la puissance générée par ses deux jambes, avance Adams. « On a recommencé sa physio. Son équipe avait arrêté la physio et voulait le relancer dans les courses. Nous, on va le défaire pour le rebâtir et pour répondre à la question, absolument, Chris Froome est un champion. Il a le cœur d’un champion, le cerveau d’un champion et il s’agit tout simplement d’entretenir le côté physique. Je suis sûr qu’il sera dans la lutte pour gagner d’autres grands tours dans sa carrière. »

Rêveur, Adams se permet même d’imaginer son nouveau poulain boire du champagne sur les Champs-Élysées, tout de jaune vêtu, égalant le record de cinq triomphes au Tour que se partagent présentement quatre coureurs.  « J’ose même espérer qu’il pourra briser le record chez nous avec une sixième victoire », s’excite-t-il.

L’objectif paraît irréaliste, mais pour Adams il n’est pas que paroles en l’air. Dans les derniers mois, le milliardaire québécois a sorti le chéquier afin d’entourer son nouveau chef de file de solides lieutenants. Le Canadien Michael Woods, le Sud-Africain Daryl Impey et le Belge Sep Vanmarcke sont au nombre des coureurs qui ont accepté de se joindre au projet.

« On ne sera pas Jumbo ou INEOS, reconnaît Adams. On ne sera pas aussi fort, mais on aura Chris Froome. Notre succès dépendra beaucoup sur la qualité de nos stratégies. Il faudra bien protéger Chris, mais ensuite il devra lui-même finir les étapes s’il veut être champion à nouveau. »