MONTRÉAL – François Parisien avait une intuition. 

L’ancien cycliste professionnel connaît bien Hugo Houle pour avoir été son coéquipier au sein de l’équipe SpiderTech au début des années 2010. À distance, il suivait son début de saison et trouvait que ses performances lui valaient de plus en plus d’estime au sein de l’équipe Astana.

Parallèlement, Parisien anticipait que le Tour de France 2020 n’en serait pas un comme les autres. La COVID-19 avait bousculé bien des habitudes chez les équipes inscrites à la Grande Boucle et la préparation pour ce grand rendez-vous en avait inévitablement été affectée.    

Le contexte, trouvait-il, se prêtait bien à quelques surprises. 

« J’avais fait une entrevue avec les gars de Radio Bidon, qui ont un podcast sur le vélo, et je leur avais clairement dit qu’Hugo Houle avait la chance de faire son entrée dans la cour des grands », se rappelle-t-il. 

Trois semaines après sa prédiction, Parisien est d’avis qu’il avait frappé dans le mille. La performance de Houle, qui a conclu dimanche le deuxième Tour de France de sa carrière avec sept top-20 et une 47e place au classement général, l’élève selon lui dans une autre catégorie de coureurs. 

« La réalité, c’est qu’Hugo a vraiment prouvé qu’il était devenu non seulement un coureur de premier plan pour aider ses coéquipiers, mais aussi pour être capable de jouer ses propres cartes et devenir éventuellement lui-même un leader, avance l’ancien analyste à RDS. Il n’est peut-être pas encore un leader de premier plan pour les grands tours ou les Monuments, mais je pense que maintenant, il a prouvé qu’il était capable de gagner des courses. »

Houle a annoncé ses couleurs très tôt sur le bitume français. Lors de la première étape, il s’est collé au groupe de meneurs jusqu’à la ligne d’arrivée, qu’il a croisée au 15e rang. Ça allait être le point de départ d’une belle montée en puissance qui allait culminer avec une septième place à la 12e étape, un enfer de 212 kilomètres dans lequel Houle a flirté avec le podium jusqu’à l’ascension finale.

« Je suis tombé par terre quand j’ai vu qu’il était capable de suivre les attaques avec les gros gars devant, s’émerveille encore Parisien en repensant à ce moment fort du Tour. C’était vraiment impressionnant pour moi de voir ça. »

« Quand il avait un rôle à jouer, il le jouait à 100% et de façon remarquable, remarque Audrey Lemieux, qui a vécu le Tour dans un rôle d’analyste pour le diffuseur en ligne FloBikes. Je pense aux étapes où il y a eu beaucoup de vent et des cassures dans les bordures. Hugo était en avant avec les meilleurs coureurs au monde et il protégeait son leader. Il se rendait dans les montées les plus importantes, il s’assurait que son leader soit frais. Mais il a su faire les deux : il a joué son rôle de coéquipier de brillante façon, mais quand ça s’y prêtait, il allait jouer son résultat et ça nous a donnés de superbes performances. »

Pour Lemieux, la nouvelle dynamique au sein d’Astana, où Miguel Angel Lopez a remplacé Jakob Fuglsang sur la selle du leader, a joué en faveur de Houle. 

« L’an dernier, Hugo était vraiment sur une mission très spécifique, celle de rester toujours à côté de son leader. Avec Fuglsang, il n’y avait rien de laissé au hasard. Si la course était de 198 kilomètres, tu devais rester à ses côtés pendant 198 kilomètres et tu n’allais pas dépenser d’énergie en fin d’étape parce que le lendemain, il allait encore avoir besoin de toi. Miguel Angel Lopez est différent. Cette année, dès que son meneur n’avait plus besoin de lui, Hugo avait l’air d’avoir le feu vert pour jouer ses places à lui dans le final et il en a profité. »

Le meilleur est à venir

Houle a qualifié son plus récent bilan de « meilleur grand tour » de sa carrière. Il a aussi réitéré que son objectif était d’un jour franchir en vainqueur l’arrivée d’une étape du Tour de France. 

« Chose certaine, il a les capacités pour remporter une Classique, une étape sur un grand tour, une épreuve World Tour ou un championnat du monde, ne doute pas Lemieux. Il l’a dit lui-même dans ses entrevues, il a une meilleure lecture de la course, il sait mieux comment se positionner, quand attaquer... C’est sûr que ça va arriver. À un moment donné, il va être à la bonne place au bon moment et il va aller la chercher. »

Parisien abonde dans le même sens. Cet ancien cycliste à la retraite, l’un des deux seuls Québécois à avoir remporté une épreuve du World Tour, croit que ce que Houle a montré, à 29 ans, pourrait n’être que la pointe de l’iceberg. 

« En terminant deuxième au Tour de Beauce en 2012, Hugo avait démontré à un très jeune âge qu’il était capable de jouer pour le général. Il le disait récemment en entrevue, il a eu la chance de commencer très tôt en Belgique avec Spidertech et avec l’équipe nationale. Ça l’a amené à développer son coffre, son volume et sa force très tôt, ce qui fait en sorte qu’il est déjà capable de performer à un très haut niveau avant l’âge de 30 ans. Il fait juste suivre sa progression avec les années. Moi je le vois performer jusqu’à au moins 35 ans facile. Ce n’est vraiment pas fini avec Hugo Houle. »

Le pédaleur de Ste-Perpétue pourrait-il éventuellement hériter d’un rôle différent au sein d’une équipe de premier plan?

« Son rôle va être semblable, mais il sera amplifié selon moi, répond Parisien. Là, il a vraiment bien prouvé qu’il était capable de bien épauler ses coéquipiers. Mais en plus de ça, maintenant, ses coéquipiers, sur certaines courses, vont pouvoir travailler pour lui. En tout cas je l’espère. Peut-être que les directeurs sportifs de l’équipe n’ont pas la même vision que moi. C’est sûr que je suis un peu vendu! »

« Une chose est certaine c’est que Hugo aime son rôle de coéquipier, ajoute Lemieux, elle aussi une ancienne cycliste professionnelle. Il aime se donner à fond pour l’équipe, c’est son entraîneur Pierre Hutsebaut qui me l’avait dit. Ça n’empêche pas que si on est dans une Classique ou même une course par étapes, il prend la bonne échappée et s’en va remporter la course. Il va pouvoir en avoir des victoires, il y a beaucoup de lieutenants qui peuvent en avoir. Mais je ne sais pas si demain matin, il pourrait devenir un leader de grand tour. Ça je serais surprise. »

Le meilleur du Québec

Le Québec a produit d’excellents cyclistes depuis  le début des années 2000. Dans le club sélect de ceux à avoir pris le départ du Tour de France, Houle est rejoint par David Veilleux (2013) et Antoine Duchesne (2016). Veilleux et Parisien peuvent quant à eux se vanter d’avoir remporté une victoire sur le World Tour. Guillaume Boivin a pris le départ de quelques grandes Classiques, comme Paris-Roubaix et Milan-Sanremo. 

Mais pour Parisien, il n’y a pas de débat. Avec le mois de septembre qu’il vient de connaître, Houle vient de cimenter sa place au sommet de tout palmarès se limitant aux cyclistes de la Belle Province. 

« Quand tu regardes le général, Hugo est de loin le meilleur cycliste québécois de tous les temps, à mon avis. Dans le cyclisme moderne, c’est le plus fort qu’on a vu. Même s’il n’a pas encore  de victoire sur le World Tour, comme David Veilleux et moi, sa constance démontre qu’il a vraiment un gros potentiel. Ça me fait dire que même sans victoire, il est le meilleur Québécois. »

« Je suis d’accord, tranche Lemieux. Il a un bon contre-la-montre individuel, c’est un des meilleurs coéquipiers sur le circuit, il est apprécié dans ses équipes. Ça fait longtemps qu’il roule sa bosse sur le World Tour et qu’il progresse année après année. Ce qu’il a fait sur le Tour de France, ce n’est pas juste participer. Terminer un Tour de France, c’est déjà énorme, vraiment. Mais lui, il ne l’a pas juste terminé. Il a aidé le sixième coureur au général à se battre pour le podium au général en plus de lui-même flirter avec une victoire d’étape. Ce n’est pas rien. »