Je viens de terminer la lecture du livre du journaliste Alain Gravel : « L'Affaire Jeanson : l'engrenage ». Du travail bien fait, avec des moyens pour le faire. Mon intérêt était grand puisque depuis 2001, j'ai assisté à pratiquement toutes les courses de Geneviève en sol québécois. J'étais aux premières loges lors de ses 4 victoires sur le Mont-Royal. J'ai eu à réaliser plusieurs entrevues avec l'ex-cycliste et à composer avec son entourage.

Tout le monde semble avoir une opinion sur Geneviève Jeanson mais avant d'en émettre une, tous devraient lire ce livre. Loin d'être une biographie de Geneviève Jeanson, le bouquin révèle une athlète complètement perdue dans ses repères qui, finalement, était bien seule pour s'en sortir.

Au-delà de l'histoire de dopage, l'ouvrage d'Alain Gravel devrait être lu par tous les parents qui ont des enfants qui font du sport. Je suis moi-même le père de deux jeunes garçons et c'est l'aspect de la responsabilité parentale qui m'a le plus frappé dans ce livre.

Combien de parents se projettent dans leurs enfants afin d'assouvir une soif de reconnaissance et d'accomplissement. Si vous assistez régulièrement à ce qui se passe dans le hockey mineur, il y a sûrement de nombreuses histoires qui vous viennent à l'esprit.

Je n'ai jamais été un « fan » de Jeanson. Je suis ce que l'on appelle un sceptique convaincu particulièrement lorsque les performances suscitent le mot « inhumain » à l'esprit. Entre collègues journalistes, je n'hésitais pas à démontrer mon scepticisme concernant Jeanson; j'étais bien seul… ou presque. Toutefois, jamais cette perception n'a transpiré de mon travail.

Environnement contrôlé et… contrôlant

Il n'était jamais facile d'approcher Geneviève au niveau professionnel. Pour avoir côtoyé des centaines d'athlètes au fil des ans, je n'avais jamais vu autant de contrôle médiatique. Même Alexandre Despatie qui était à des années lumières de Geneviève Jeanson, en termes de popularité et d'attention médiatique, était plus facile d'approche.

Je me rappellerai toujours de cette conférence de presse avant la Coupe du monde de Montréal. Pendant que toutes les athlètes, dont Lyne Bessette, étaient facilement accessibles, il fallait « s'enregistrer » auprès du relationniste de l'équipe RONA, pour parler à Geneviève. Cette dernière avait été placée sur un fauteuil et à tour de rôle, les journalistes défilaient un à un pour poser leurs questions… et Geneviève choisissait ses médias. Elle ne t'aime pas, elle répond sèchement aux questions. Coudon, ce n'était quand même pas Céline Dion. En lisant le livre de Gravel, on comprend mieux le pourquoi de ce genre de situation. Le contrôle total!

Hamilton

J'avais réussi à convaincre mes patrons de m'envoyer à Hamilton pour les championnats du monde sur route 2003. L'occasion était belle. Jeanson et Bessette allaient enfin courir ensemble pour la première fois depuis les Jeux olympiques de Sydney.

Quelques jours avant le début des compétitions, je tente d'organiser une rencontre avec Geneviève pour réaliser un reportage de type « preview ». Je suis à Hamilton et j'aimerais parler de nos deux Québécoises; Jeanson et Bessette. Coup de fil à Daniel Larouche qui s'occupe des relations médias de Geneviève. Tout ce que je veux, c'est une courte entrevue de 5-10 minutes sur la compétition qui s'en vient.

Il me dit qu'il va parler à Geneviève. Mon téléphone sonne et je reçois une réponse vague du type que Geneviève n'a pas le temps. Bref, elle évite de parler. Pendant ce temps, Lyne Bessette me permet de la rencontrer et d'aller même prendre des images sur la route pendant qu'elle roule avec son entraîneur. Deux situations diamétralement opposées.

Pour une vedette de la scène sportive qui aimait bien faire la première page des journaux lors de la Coupe du monde de Montréal, l'entourage de Jeanson semblait « choisir » ses médias.


Des larmes

Si Hamilton a été un point tournant dans la carrière de Geneviève, disons que mon opinion sur son entourage s'est précisé lors de ces championnats du monde.

Il fallait voir André Aubut crier après Geneviève quelques minutes avant le départ. Geneviève enfilait les coups de pédales sur son vélo stationnaire à un rythme d'enfer; ça ne semblait pas suffisant. Je demande alors à mon caméraman d'aller prendre quelques images; on nous signale de rester loin et de ne pas s'aventurer trop près.

Geneviève connaît un très bon contre-la-montre. Quelques instants après son arrivée, les médias s'agglutinent autour d'elle; j'en suis. À ce moment, elle est troisième et les questions portent pratiquement sur le fait qu'elle va se retrouver sur le podium. Sauf qu'il y a encore quelques cyclistes qui n'ont pas terminé leur contre-la-montre. Pensant qu'elle a une médaille en poche, ce qui est l'un de ses objectifs de carrière, Geneviève arbore son plus beau sourire et répond avec gentillesse à toutes les questions.

Le micro de RDS est bien tendu vers Geneviève mais ma tête est ailleurs. Je regarde les autres cyclistes franchir la ligne d'arrivée et au même moment, un officiel de la course passe près de nous et j'entends dans son walkie-talkie « Jeanson fourth, Jeanson fourth ». Une cycliste a réalisé un meilleur temps ce qui a pour effet d'exclure Geneviève du podium. Du tac au tac, je lance à Geneviève qu'elle est maintenant 4e (elle terminera finalement 5e). Son visage s'est changé automatiquement. Comme si je venais de lui annoncer le décès d'un proche.

J'ai compris, en lisant le livre d'Alain Gravel, que ces larmes en étaient de déception personnelle mais également de la tristesse de décevoir son entourage immédiat dont son père et son entraîneur André Aubut. Ce dernier avait une emprise totale sur elle.

Des larmes (prise 2)

Un mois après avoir oublié de se présenter à un contrôle antidopage lors de la Flèche Wallone, Geneviève se présente à la conférence de presse en marge de la Coupe du monde de Montréal. Nous sommes en mai 2004.

À la table d'honneur, on retrouve l'organisateur ainsi que les dignitaires d'usage. À un bout de la table, on retrouve Geneviève Jeanson et à l'autre bout se retrouve Lyne Bessette. Dans la salle, toute la presse montréalaise est sur place. Tout le monde veut questionner Geneviève sur ce qui s'est passé à la flèche Wallonne.

Après la conférence, une seule personne à la table retient l'attention des médias : Geneviève Jeanson. Avec raison, elle n'a pas parlé depuis l'incident. On veut recueillir ses commentaires. Les questions sont dirigées vers la cycliste qui répond du mieux qu'elle peut mais il n'y a rien de vraiment cohérent. Elle n'a pas envie d'être là et ça se sent. Je veux qu'elle nous explique clairement ce qui s'est produit lors d'un contrôle inopiné et c'est à ce moment qu'elle craque et fond en larmes. Elle tombe dans les bras de son relationniste. La conférence de presse est terminée.

Lyne Bessette

Je suis en contact avec Lyne Bessette depuis 2001 et j'ai rarement vu une athlète aussi authentique et simple qu'elle. C'est une battante qui comme toute athlète a voulu être parmi les meilleures. Elle a d'ailleurs remporté le Tour de l'Aude, une prestigieuse course à étapes, à deux reprises. Elle a connu le succès lors de courses où plusieurs des meilleures au monde prenaient le départ.

Au Québec, on chouchoute rapidement nos athlètes qui connaissent énormément de succès. Tous ceux qui ont adulé Geneviève Jeanson se sont tous sentis floués lorsqu'elle a admis s'être dopée.

Dans le livre d'Alain Gravel, Lyne se vide le cœur et confie qu'elle est une victime au même titre que Jeanson. Peu importe ce que pensent les gens, il s'agit là de la pure vérité. On dit que Jeanson aura empoché près d'un million de dollars au cours de sa carrière. Lyne Bessette n'est pas « dans la rue » mais on ne parle pas du même compte en banque. Les athlètes s'entraînent pour l'amour de leur sport et pour atteindre les plus hauts sommets. Quand la tricherie d'un rival vous en empêche, il y a de quoi être amère.

Lyne a toujours dit ce qu'elle pense, à tort ou à raison. Par son attitude marginale (on sait maintenant pourquoi) et son entourage, Geneviève Jeanson a fait subir directement et indirectement sa présence néfaste à Bessette. Obligatoirement, les projecteurs étaient braqués sur Jeanson et Bessette et les résultats ont tout de suite mis Jeanson sur un piédestal. Les médias sont tombés dans le panneau et Bessette devait composer avec ça.

Je ne pense pas me tromper en disant que Lyne Bessette aurait été capable de créer un événement avec la Coupe du monde de Montréal comme l'a fait Jeanson.