MONTRÉAL - Il y a dix ans aujourd’hui, le 17 juin 2010, le Canadien prenait officiellement position dans un débat dont les braises alimentaient avec ferveur l’esprit de ses partisans. Quelques semaines après la conclusion d’un spectaculaire parcours en séries éliminatoires qu’on reconnaîtrait au fil du temps comme le Printemps Halak, le directeur général Pierre Gauthier échangeait son populaire gardien slovaque et confiait officiellement l’avenir de l’équipe à Carey Price

La décision peut paraître logique, et toute forme de dilemme saugrenue, en rétrospective. Mais à l’époque, une véritable division s’était créée entre les supporteurs des deux gardiens. 

D’un côté, un choix de première ronde de 22 ans, surdoué mais blasé. Cinq ans après avoir été le cinquième choix du repêchage, Price semblait gérer difficilement la pression inhérente à la mission dont il avait hérité. Des rumeurs l’entourant font état d’une hygiène de vie discutable. On craint que la ville soit en train de l’avaler tout rond. 

D’un autre, un modeste choix de neuvième ronde, discret et visiblement plus mature. Halak n’a peut-être pas les attributs physiques ni les qualités athlétiques de son partenaire, mais pour ce qu’il concède en talent brut, il compense avec une éthique de travail irréprochable et une ardente fibre compétitive. 

« Les joueurs avaient énormément confiance en Jaroslav, disait Jacques Martin, l’entraîneur-chef du Canadien à l’époque, en entrevue avec Chantal Machabée en février dernier. Durant la saison, ça avait été une bataille entre lui et Carey et dans la deuxième partie de l’année, Jaroslav avait pris le rôle du gardien numéro 1. Je pense qu’il a très bien navigué avec cette position-là. »

Au terme de la saison régulière, les chiffres laissent peu de doute quant à la hiérarchie qui s’est installée devant le filet du Canadien. En 39 départs, Price a affiché un rendement de 13-20-5 et un taux d’efficacité de ,912. En quatre matchs de plus, Halak a livré deux fois plus de victoires (26-13-5) et tous les indicateurs de succès lui donnent alors l’ascendant sur son jeune coéquipier. 

Ce qui paraît limpide au moment d’amorcer les séries éliminatoires s’embrouille rapidement. Dans un duel de première ronde contre les Capitals, les grands favoris de l’Association Est, Halak signe une solide performance dans le premier match, mais s’écrase dans les deux parties suivantes. Appelé en relève dans le match numéro 3, Price ne fait pas mieux comme titulaire deux jours plus tard. Le Canadien reprend la route de Washington avec la corde au cou. 

Mais l’exécution n’a jamais lieu. Dans les trois matchs suivants, Halak sauve les siens du gibet avec des performances de 37, 53 et 41 arrêts et le Canadien, contre toute attente, transperce de sa dague le cœur de la bête. La même arme sert ensuite à éliminer les Penguins de Pittsburgh, champions en titre de la coupe Stanley. Ce n’est qu’à Philadelphie, tard en mai, que la flamme de l’espoir s’estompera à Montréal. Halak, à ce moment, a pratiquement atteint le statut de héros national au Québec.  

C’est dans ce contexte que Pierre Gauthier doit, au printemps 2010, jouer ses cartes afin d’optimiser le présent et le futur du Canadien à une position historiquement névralgique pour l’organisation. Le suspense ne dure pas. Moins d’un mois après l’élimination de l’équipe, le DG échange Halak aux Blues de St. Louis en retour des attaquants Lars Eller et Ian Schultz. 

« Le héros des séries sacrifié », titre le quotidien La Presse en Une au lendemain de l’annonce de la transaction. « Difficile à avaler », statue le chroniqueur Yvon Pedneault dans les pages du Journal de Montréal, où la décision du CH va jusqu’à susciter une réaction de Richard Martineau. Même le Devoir réagit en plaçant la nouvelle en page frontispice.

« J’étais au volant de ma voiture avec ma copine quand j’ai appris la nouvelle, a raconté Halak à Chantal Machabée plus tôt cette saison. Mon téléphone a sonné et j’ai vu que c’était un numéro en provenance de Montréal. J’ai trouvé ça bizarre. C’est ma copine qui m’a dit de répondre, alors c’est ce que j’ai fait. C’était Pierre Gauthier qui voulait m’annoncer que j’étais échangé à St. Louis. C’en était fait de ma carrière à Montréal! »

« Sur le coup, j’étais sous le choc. C’était la première fois que ça m’arrivait et je ne savais pas ce que l’avenir me réserverait. Mais en même temps j’étais excité à l’idée de me joindre à une équipe qui me donnerait la chance d’être un numéro 1 dans la ligue. »

Dans l’immédiat, la transaction s’avère bénéfique pour tous les partis impliqués. À sa première saison à St. Louis, Halak obtient 57 départs, un sommet personnel à l’époque, et maintient des statistiques qui, sans être aussi étincelantes que l’année précédente, confirment sa valeur dans un rôle accru. 

Pour Price, un vote de confiance de ses patrons semble être ce dont il avait besoin pour se prendre en main. À sa quatrième saison dans la Ligue nationale, fort d’un nouveau contrat de deux ans signé à titre de joueur autonome avec compensation, il se hisse finalement aux rangs des gardiens élites du circuit. En 2010-2011, il signe 38 victoires en 70 départs et améliore ses marques antérieures au niveau de la moyenne de buts alloués (2,35), du taux d’efficacité (,923) et des blanchissages (8). Il ne répètera pas les miracles de Halak en séries – le CH sera éliminé au premier tour par les Bruins – mais finira cinquième au scrutin pour l’obtention du trophée Vézina et septième pour celle du trophée Hart. 

Dix ans plus tard, il ne fait de doute dans l’esprit de personne que Gauthier a rendu un grand service au Canadien en ignorant la pression populaire et en plaçant les jetons de l’organisation sur le développement de son pur-sang. Au cours de la dernière décennie, Price a remporté les trophées Hart, Vézina et Jennings, a participé au match des étoiles à six reprises et a remporté l’or olympique à Sochi. Seul le succès en séries éliminatoires continue de lui échapper, mais à 32 ans, il est toujours considéré par ses pairs comme l’un des athlètes les plus intimidants de sa spécialité.

Halak n’a disputé que sept matchs de séries après son départ de Montréal et n’a jamais atteint le titre de titulaire indiscutable auquel il aspirait, mais il s’est néanmoins ficelé une carrière plus que respectable. D’ailleurs, les chiffres qu’il a cumulés depuis ses débuts dans la LNH sont étonnamment similaires à ceux de Price au cours de la même période. Et sur une note plus insolite, il a aussi remporté les sept matchs qui ont opposé les anciens coéquipiers depuis qu’ils ont été séparés.    

Statistiques en carrière
PRICE 348-250-74 2,49 ,917 48 blanchissages
HALAK 272-167-58 2,48 ,916 50 blanchissayes

Outre la satisfaction d’avoir pris la bonne décision, que reste-t-il au Canadien de cette transaction? 

Après six ans de services à Montréal, Eller a été échangé aux Capitals en retour de choix de deuxième tour en 2017 et 2018. Le premier a été investi pour repêcher au 58e rang le Finlandais Joni Ikonen, dont les blessures ont jusqu’ici ralenti l’éclosion. L’autre a été cédé aux Oilers d’Edmonton lors des assises de l’année suivante et a été utilisé pour repêcher le gardien québécois Olivier Rodrigue au 62e rang. Avec les choix obtenus en échange, le CH a sélectionné le défenseur Jordan Harris (71e), qui est aujourd’hui considéré comme l’un de ses plus beaux espoirs à la ligne bleue, et l’attaquant Samuel Houde (133e), à qui il n’a finalement jamais offert de contrat. 

Ian Schultz, pour sa part, a quitté Montréal après trois années passées dans les circuits mineurs. Il a terminé sa carrière en 2017 dans l’EIHL, une ligue professionnelle au Royaume-Uni. 

À St. Louis, il ne reste plus aucune trace du passage de Halak. En 2014, le Slovaque a fait partie d’une transaction majeure qui a permis aux Blues d’obtenir le gardien Ryan Miller et l’attaquant Steve Ott. Les deux hommes ont éventuellement quitté sur le marché des joueurs autonomes. 

Halak a été inclus dans deux autres transactions dans les années suivantes. Avant même d’avoir eu le temps de défaire ses valises à Buffalo, il a été envoyé aux Capitals avec un choix au repêchage contre Michal Neuvirth et Rostislav Klesla. Puis quelques mois plus tard, les Caps l’ont troqué aux Islanders de New York contre un choix de quatrième ronde qui allait éventuellement aboutir entre les mains des Rangers et qui leur servirait à repêcher le prometteur gardien Igor Shesterkin

Dix ans après son départ, les partisans de la Flanelle parlent encore avec nostalgie des souvenirs que leur a laissés le vaillant numéro 41 et cette fameuse question, jadis l’objet de graves débats et aujourd’hui réduite en boutade, a gardé sa petite place dans le folklore québécois. Alors, Halak ou Price?

*Avec la collaboration de Christian D'Aoust

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