Émile Beauchamp, 15 ans, passe de bons moments avec ses parents au Club Med de Cancun, au Mexique, où il se fait de nouveaux amis parmi d’autres Québécois sur la plage.

La journée est magnifique. Les adolescents bavardent en s’amusant dans la mer. Il n’y a pas de bousculade, pas d’imprudence. Ils sont juste heureux d’être là, loin de la froidure de l’hiver qui sévit à la maison.

Puis, sans le moindre signe précurseur, Émile ressent un malaise. Le temps de dire: « Aidez-moi », il tombe inconscient à la renverse dans l’eau. Ses copains ne réalisent pas encore l’horreur de la situation, mais son coeur vient de s’éteindre. Ils sont dans l’eau jusqu’aux genoux. Une vague a le temps de submerger leur copain.

Tout près de la scène, Jordy, un sauveteur en devoir âgé de 19 ans, comprend que le garçon est en difficulté. Il fonce vers lui et le sort de là. Un hasard providentiel veut que cinq ou six médecins québécois, présents sur la plage, soient là pour lui porter secours. Ils s’activent autour de lui en notant immédiatement que son coeur a cessé de battre. Il s’est arrêté sans aucune raison particulière. Émile est victime du syndrome de mort subite, un phénomène pour lequel on a relativement peu d’explications.

Ils procèdent à un massage cardiaque. Un dentiste de Montréal se souvenait d’avoir vu un défibrillateur à l’hôtel. Il court le chercher. Émile est intubé sur place. Martin Dumas-Laverdière, un anesthésiste de Québec, prend charge des opérations. Habituellement, on déconseille à des médecins en vacances de s’impliquer de cette façon sur les lieux d’un accident car ils ne sont protégés par aucune assurance. Mais personne ne se soucie des règles ce jour-là. Tous les efforts sont consacrés à sauver une vie humaine.

Avant l’arrivée de l’ambulance, le défibrillateur lui envoie quatre chocs électriques au coeur. Dans le véhicule d’urgence, on l’installe sur un appareil sophistiqué baptisé « Chest compression system », qui poursuit automatiquement le massage cardiaque durant les 20 minutes les séparant de l’hôpital qui attend le jeune patient. Durant la course folle de l’ambulance, on lui assène cinq autres chocs électriques. Au neuvième choc, le coeur recommence à battre. Émile reste inconscient, dans un état critique.

Émile Beauchamp sur la plage avant l'incident.À ce moment, personne ne connaît encore son historique médical. Émile est né avec la tétralogie de Fallot, une malformation cardiaque. Tout au long de sa jeune existence, il a subi six opérations au coeur. C’est un garçon courageux, résilient, qui a l’habitude des grandes batailles, mais cette fois, on lui en demande beaucoup. Il était mort sur la plage. Par miracle, on l’a ramené à la vie. Ce qui ne voulait pas dire que sa périlleuse épreuve était terminée.

Les spécialistes l’ont laissé volontairement dans le coma afin de protéger des organes vitaux déjà beaucoup taxés. Ils n’écartaient pas la possibilité de dommages neurologiques. Ses parents, Catherine et Donald, qui étaient à 400 mètres de là quand c’est arrivé, ne sont pas au bout de leurs inquiétudes. Le coeur de leur unique enfant avait cessé de battre durant une période de 30 à 45 minutes. C’était considérable. Les médecins se disaient incapables de se prononcer sur les effets dramatiques que cette mésaventure pourraient avoir sur sa santé. Une partie de sa condition précaire était attribuable à la noyade provoquée par la vague qui avait submergé son corps durant le bref moment passé sous l’eau.

Branle-bas de combat

Il y a eu tout un branle-bas de combat autour de lui. Le directeur médical de l’hôpital Amerimed de Cancun, Fernando Rivas, a exercé une présence rassurante à ses côtés en s’adressant à Émile en français grâce à des études faites à Montréal durant deux ans. Donald Beauchamp a joué les intermédiaires entre lui et le cardiologue de son fils, le docteur Joaquim Miro, de Sainte-Justine. Comme quoi les planètes semblaient bien alignées durant cet incident malheureux, le docteur Miro parle couramment l’espagnol, ce qui a facilité les renseignements et informations pointus échangés par les deux spécialistes. Ils ont convenu de la nécessité de lui installer un défibrillateur implantable permanent. Dès que l’appareil a été inséré dans son corps, il a pu quitter les soins intensifs.

Émile est un survivant. Il a passé quatre jours dans le coma et a été hospitalisé durant 13 jours. Il s’en est tiré sans la moindre séquelle, même si un malaise ressenti à son retour à Montréal l’a contraint à une autre hospitalisation.

Pendant que sa condition laissait craindre le pire au Mexique, les Beauchamp ont reçu plusieurs messages d’amitié et de réconfort. On a prié pour eux. Plus tard, quand le Canadien a été mis au courant de la situation, le capitaine Shea Weber lui a fait parvenir un vibrant message d’espoir qui a laissé Émile très ému.

« Il y a eu des anges sur sa route, comme le sauveteur du site hôtelier, les médecins déjà sur la plage et le directeur médical qui l’a accueilli à son arrivée à l’hôpital, mentionne Beauchamp qui a passé le dernier quart de siècle à la vice-présidence aux communications du Canadien. Pas de doute, il s’agit d’un miracle, mais le vrai héros, c’est Émile qui fait toujours preuve d’une grande détermination. Il ne s’est jamais apitoyé sur son sort. Son retour à la santé est beaucoup attribuable à la rapidité et à la qualité des soins qu’il a reçus, de même qu’à son excellente forme physique. Le collège Notre-Dame qu’il fréquente fait beaucoup pour la promotion de la bonne forme physique et Émile, qui adore jouer au hockey, prend bien soin de sa condition. »

Sa plus grande motivation était de rejoindre les membres de son équipe de hockey. Il évolue dans la ligue préparatoire scolaire, dans un calibre de jeu s’apparentant à du midget AA. Un ailier, il a connu une saison inspirante pour un jeune dont le coeur a dû subir plusieurs ajustements au fil des ans. Soumis à une période de convalescence de plusieurs semaines, il n’a pu participer aux éliminatoires de son équipe, en fin de semaine dernière, dans la région de Québec. Toutefois, il a reçu le feu vert pour accompagner ses coéquipiers en autobus et prendre place dernière le banc à l’invitation de son entraîneur. Que du bonheur pour lui après être revenu de si loin.

Des anges sur la route

Qui sait si cette expérience ne donnera pas naissance à une future carrière d’entraîneur pour ce jeune homme d’une belle maturité qui rêve un jour de gagner sa vie dans l’administration du hockey.

« On voit toujours dans les anges des créatures avec des ailes blanches, mais ce sont plutôt des gens qu’on croise sur notre route et qui ont un impact sur nos vies, précise Donald. Émile en a eu plusieurs sur son chemin. Le médecin qui l’a traité nous a fait remarquer que la plage est devenue un hôpital quand le drame s’est produit. Si des soins professionnels ne lui avaient pas été prodigués sur-le-champ, il ne serait plus là aujourd’hui. »

On laisse à Émile le soin de nous livrer une conclusion tranchante de réalisme et de spontanéité. De retour à Montréal, il a manifesté le désir de manger ses céréales préférées, généreusement sucrées. Ses parents, qui souhaitent pour lui une saine alimentation, ont hésité un brin. Il les a convaincus par une réplique sans appel.

« J’étais mort, leur a-t-il lancé. Est-ce que je pourrais vivre maintenant. »

Catherine, dont le coeur de mère a été soumis à une très rude épreuve au Mexique, et Donald, qui a souvent craint le pire, ont pouffé de rire. Bien sûr qu’il peut vivre. Même qu’ils ne demandent tous que cela.