Qu’ont en commun Céline Dion, Georges Saint-Pierre, Sidney Crosby et Connor McDavid? Ce sont des artistes, parmi les meilleurs, chacun dans leur sphère. Des vedettes qui touchent un cachet élevé en retour d’un spectacle de qualité. J’ai choisi ces noms au hasard parce que ce sont des performers à qui il ne viendrait jamais à l’idée d’offrir des représentations de piètre qualité.

Si les sorties de Céline étaient teintées de fausses notes, si Saint-Pierre se contentait de faire acte de présence pour empocher la plus grosse bourse de la soirée et si des patineurs talentueux comme Crosby et McDavid offraient des rendements souvent inégaux, les respecterait-on autant? Accepterions-nous d’aller aveuglément les applaudir en payant un prix exorbitant pour être témoin de quelques décevantes prestations?

Alors, pourquoi encourage-t-on aussi intensément et aussi fidèlement une équipe qui ne nous rend pas toute l’admiration qu’on lui voue?

Cette question m’est venue à l’esprit en regardant les joueurs du Canadien donner tout ce qu’ils avaient pour vaincre avec beaucoup de panache la meilleure formation de la Ligue nationale, le Lightning de Tampa Bay. Comment peuvent-ils offrir un spectacle désolant pendant des semaines et arriver à se hisser parmi les meilleurs en patinant le pied au plancher le temps d’un soir? C’est forcément une question d’attitude.

La réponse, on la trouve sans doute dans l’effort qu’on y met. L’attaque du Canadien a des failles importantes, ça, personne n’en doute, mais si elle est aussi anémique, c’est parce que ses principaux éléments ne travaillent pas suffisamment ou travaillent mal. Souvent parce qu’ils n’acceptent pas d’aller se poster là où ça fait mal, notamment. Pourquoi pensez-vous que l’un des plus petits joueurs de l’équipe, Brendan Gallagher, a déjà marqué 16 buts? Parce qu’il y va, lui, dans la zone payante.

Lors de la récente visite des Sharks de San Jose, le Canadien a mis fin à une séquence de 132 minutes et 27 secondes sans but. Il a fallu que la rondelle ricoche sur une jambe d’Andrew Shaw pour produire l’unique but de la soirée. Pensez-vous que les spectateurs en ont eu pour leur argent ce soir-là?

Je suis tombé en bas de ma chaise quand j’ai entendu la première explication de Marc Bergevin dans son récent bilan de la première demie du calendrier. Si l’équipe est à toute fin pratique éliminée des séries, c’est d’abord parce qu’elle a manqué de constance, selon lui. En entrée de jeu, je me serais attendu à ce qu’il se blâme pour avoir commis des erreurs d’évaluation l’été dernier. J’aurais cru qu’il aurait été le premier à s’adresser des reproches. Après tout, faut pas être Einstein pour réaliser que des erreurs de calcul dans le cas d’Andreï Markov et d’Alexander Radulov ont totalement annulé l’effet qu’aurait pu avoir sur toute l’organisation l’arrivée d’une vedette potentielle comme Jonathan Drouin. Drouin se serait certes amusé davantage s’il avait eu un partenaire dynamique et émotif comme Radulov sur le flanc droit pour l’appuyer.

Bien sûr, Bergevin a reconnu quelques erreurs de parcours, mais il a fallu lui arracher des aveux un à un. Comment voulez-vous qu’une organisation prenne du mieux si son principal dirigeant ne se croit pas en bonne partie responsable de ce fiasco?

Comment peut-on espérer que les choses changent si, malgré un énorme surplus d’argent dormant dans les coffres de l’équipe, le directeur général se sent incapable d’effectuer des transactions? Si c’est vraiment impossible de transiger dans la Ligue nationale d’aujourd’hui, pourquoi le défenseur Sami Vatanen est-il passé d’Anaheim au New Jersey? Comment une organisation déjà bien nantie comme celle de Nashville a-t-elle pu s’armer encore davantage en vue des séries en mettant le grappin sur Kyle Turris? Pourquoi Matt Duchene, recherché par diverses équipes depuis des mois, est-il finalement passé dans le camp des Sénateurs? Enfin, pourquoi le défenseur montréalais, Jason Demers, comptant près de 550 parties d’expérience dans la Ligue nationale, a-t-il été acquis par les Coyotes de l’Arizona au lieu de se retrouver à Montréal? Aurait-il fait pire que Joe Morrow, je me le demande.

Il y a au moins un autre aspect qui me chicote. Ne nous avait-on pas promis d’accorder une plus grande attention au produit québécois quand Bergevin a remplacé Pierre Gauthier pour qui ce n’était pas une priorité?

J’admets être titillé par l’impact que le jeune Yanni Gourde exerce au sein du Lightning de Tampa Bay. Il n’a pas été repêché malgré une production de 37 buts et de 124 points à sa quatrième et dernière saison junior à Victoriaville. Sans doute parce qu’il n’était pas très grand et pas très gros. C’est courant de lever le nez sur ce type de joueur.

Ce manque d’intérêt pour les athlètes de petit gabarit a été encore plus flagrant dans le cas de Jonathan Marchessault, un ex-Rempart oublié au repêchage. Après une campagne surprenante de 30 buts l’an dernier avec les Panthers de la Floride, il brille encore de tous ses feux à Las Vegas. Les dirigeants de cette équipe d’expansion sont si impressionnés par ses succès offensifs, son leadership et l’attitude positive qu’il affiche dans un vestiaire qu’ils viennent de lui consentir une entente de 30 millions pour six ans.

Ils étaient trop petits pour qu’on s’intéresse à eux. L’adjoint de Steve Yzerman à Tampa, Julien Brisebois, qui démontre un intérêt certain pour les joueurs québécois, les a vus, lui. Ses recommandations ne tombent pas dans de sourdes oreilles chez le Lightning. Après avoir contribué à lancer la carrière de Marchessault, qui a passé deux ans et demi avec le Lightning, Brisebois est en train d’en faire autant avec Gourde.

Ces jeunes-là n’ont-ils pas grandi dans un territoire où le Canadien devrait avoir des yeux partout? N’ont-ils pas rêvé d’avoir leur chance avec le Canadien un jour? Marchessault et Gourde ne sont pas les seuls à être passés entre les mailles du filet à Montréal. Je ne prétends pas qu’ils vont devenir des joueurs étoiles, mais voilà deux jeunes joueurs combatifs, revendiquant respectivement 16 buts (Marchessault) et 14 buts (Gourde) à mi-chemin dans la saison, qui ne paraîtraient pas trop mal dans l’équipe actuelle du Canadien. Soit dit en passant, ils ont déjà amassé beaucoup plus de points après une quarantaine de parties que le meilleur marqueur du Canadien.

Mais vous savez quoi? Ces deux joueurs n’auraient jamais connu les mêmes succès offensifs avec un chandail tricolore sur le dos parce qu’on les aurait probablement utilisés dans des missions défensives au sein d’un quatrième trio.

Cela dit, ce ne serait peut-être pas une mauvaise idée si l’organisation du Canadien démontrait une plus grande ouverture d’esprit dans son propre marché. Faut savoir courir des risques à l’occasion. Si c’est bon pour Tampa, ça devrait l’être pour Montréal.