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RÉSULTATS

LPHF : un trident québécois aux commandes à New York

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UTICA, New York – Obtenir une entrevue avec Pascal Daoust cette semaine à Utica, c'était un peu comme essayer d'empêcher Marie-Philip Poulin de marquer sur une échappée. Pas impossible, mais compliqué en s'il-vous-plaît.

La difficulté de la chose n'était en rien lié à un manque de volonté de sa part. Au contraire, le directeur général de l'équipe new-yorkaise de la Ligue professionnelle de hockey féminin (LPHF) a fait preuve d'une grande gentillesse dans chacune de ses interactions avec les représentants des médias en visite au camp préparatoire organisé par la ligue. Il avait aussi encouragé son personnel et ses joueuses à faire preuve d'ouverture devant toute marque d'intérêt à leur endroit.

Le problème, c'est qu'une discussion de qualité nécessite par définition un peu de temps. Et du temps, on en a très peu quand on dirige une organisation qui n'existait même pas il y a à peine trois mois et dont on attend qu'elle soit complètement fonctionnelle d'ici quelques semaines.

« Je mangerai dimanche », a poussé Daoust à la blague à la collègue Andrée-Anne Barbeau quand celle-ci a réussi à lui soutirer quinze minutes sur l'heure du dîner mercredi. Cette journée-là, les dirigeants et les joueuses des six équipes du nouveau circuit devaient assister à des conférences et à des rencontres d'information comprimées dans un horaire digne de celui d'un premier ministre.

« Pour vrai en ce moment, il jongle peut-être avec 15 balles, nous avait dit la veille Katia Clément-Heydra en parlant du DG. J'en partage peut-être cinq avec lui. »

On vous parlait vendredi de la filière francophone que New York a assemblée au repêchage inaugural de la LPHF. Daoust a fait la même chose au niveau administratif, recrutant deux vieilles connaissances issues de son parcours au Québec pour l'aider à couler les fondations et établir la structure de ce que les trois complices qualifient d'une même voix de projet d'une vie.

Clément-Heydra est une ancienne capitaine des Martlets de l'Université McGill qui a croisé le chemin de Daoust pour la première fois à l'époque où celui-ci faisait partie du personnel d'entraîneurs des Carabins de l'Université de Montréal. Sans la connaître personnellement, Daoust avait été marqué par la droiture, le charisme et l'enthousiasme de sa rivale. Elle avait fait partie du personnel de la Force de Montréal et combinait divers boulots d'entraîneuse et de consultante quand Daoust l'a surprise avec son appel.   

Officiellement, elle est responsable des services à l'équipe. C'est aussi elle qui sera en charge du bon déroulement des opérations lors des jours de match. Elle s'assure que tous les besoins des joueuses – qu'on parle de logement, de permis de travail, de compte de dépenses ou de le paie - soient comblés. En attendant de futures embauches, elle s'occupe aussi de gérer les demandes médiatiques et l'implication de l'équipe dans la communauté. Vous aurez compris qu'elle est débordée, mais elle ne s'en plaint pas.

« Ça fait deux mois et demi qu'on est en mode survie, je pense! Les feux sont partout et on essaie de les éteindre. Mais c'est vraiment le fun. On aime le hockey et on est en train de bâtir une organisation. Je ne pourrais demander mieux. »

Les chiffres qui parlent

L'autre pointe du trident est Christophe Perreault, qui agit à titre de directeur du recrutement et des statistiques avancées. Sa complicité évidente avec Pascal Daoust remonte aux balbutiements du programme des Carabins au début des années 2010.

« J'étais étudiant à HEC mais dans mes cours, je n'écoutais pas vraiment. Je faisais des stats », confesse le gourou des chiffres, qui est encore à ce jour statisticien et recruteur pour l'équipe de l'UdeM.

« Il y a une image quand même assez célèbre de moi dans le programme où on me voit avec quatre tablettes devant moi parce que je faisais l'analyse d'un match pour la webdiffusion tout en parlant au coach et en rentrant mes stats. »

Quand Daoust a quitté le milieu universitaire pour devenir directeur général des Foreurs de Val-d'Or, il a demandé à Perreault de le suivre. « On faisait les choses un peu différemment, se souvient Daoust. Les stats avancées, aujourd'hui c'est la saveur du jour, mais à ce moment-là c'était peu utilisé. C'est le fun de travailler avec Christophe parce qu'il amène beaucoup de choses, mais il n'impose rien. Et moi je suis une personne qui aime travailler avec plusieurs angles de discussions. »

« Je suis très au courant des forces des chiffres, je les connais par cœur, mais je sais aussi qu'il y a des limites et je suis très respectueux envers ça, relativise Perreault. La première fois que j'ai rencontré Howie [Draper, l'entraîneur-chef], je lui ai dit : "Je ne te dirai jamais comment faire ton alignement, ce n'est pas mon travail. Mais si tu veux savoir qui joue bien avec qui ou si tu veux bien connaître nos prochains adversaires, j'ai plein d'informations pour toi". »

L'apport de Perreault va au-delà de l'interprétation et la vulgarisation des données chiffrées. Constamment, il scrute le web en quête d'une entrevue, d'une analyse ou d'un rapport médical. Les pépites qu'il y trouve peuvent lui permettre de déceler une faiblesse dans un camp adverse ou de deviner une occasion à saisir. Le moindre détail compte.

« Les chiffres ont une valeur, mais le hockey c'est aussi un sport d'émotions. Si Pascal veut savoir quelque chose, il me le dit et je fouille. »

Fragile notion du temps

Chacun de leur côté, dans des entrevues distinctes, les trois comparses se sont émerveillés devant cette chance unique qui leur est tombée dessus, celle de pouvoir bâtir une organisation sportive à partir d'absolument rien. L'un des moments charnières de l'aventure a été le repêchage. Les joueuses qui voulaient s'y déclarer admissibles avaient jusqu'au 3 septembre pour le faire. L'encan avait lieu 15 jours plus tard.

Intense? Imaginer sprinter à pleins poumons, mais sur la distance d'un marathon.

« C'est sûr qu'il aurait fallu six mois pour préparer le draft », calcule Clément-Heydra, qui est venue prêter main forte à ses deux collègues moins d'une semaine avant le jour J.

« Notre avantage par rapport aux autres clubs, c'est qu'on avait vécu des repêchages dans la LHJMQ, observe Perreault. La première étape a été d'établir notre priorité. Qu'est-ce qui allait être en demande dans cette ligue? C'était la base. Je suis un gars de finance : c'est quoi l'offre, c'est quoi la demande, de quoi on a le plus besoin? »

Clément-Heydra avait l'avantage d'avoir côtoyé plusieurs des candidates et d'avoir dirigé contre plusieurs autres. Elle les connaissait au-delà des chiffres. Mais le travail de recherche qu'il restait à abattre était costaud. Le trio estime avoir parlé à 125 joueuses au téléphone. Ils ont appelé des entraîneurs, des agents.

Sur la glace, on voulait bâtir par la défense. On cherchait des femmes intelligentes et constantes. Mais au-delà de leurs habiletés athlétiques, le profil des joueuses recherchées devait correspondre aux cinq valeurs reines du club : le respect, la loyauté, la famille, la quête de l'excellence et l'humilité.  

« Quand on est arrivés à Toronto [quelques jours avant le repêchage], on a réservé une salle de conférence à l'hôtel et on s'est enfermés dedans. C'était notre bunker, illustre Clément-Heydra. On n'a pas dormi beaucoup, mais on est arrivés là vraiment bien préparés. »

« Des fois, j'ai l'impression que ça fait six, sept mois que ça a eu lieu tellement les journées n'ont pas eu de fin. J'ai l'impression qu'il y a une journée qui a commencé quelque part au mois d'août et qui n'est pas encore terminée, lance Daoust, le coloré chef d'orchestre. Mais pour moi, c'est le plus beau des projets. Bâtir un projet c'est une chose, mais le bâtir à partir de zéro, c'est un privilège immense. Et de le faire dans le hockey professionnel, à New York, c'est le plus beau cadeau. »

À quelques kilomètres du fil d'arrivée, les dirigeants new-yorkais ont finalement pu voir à quoi l'équipe qu'ils avaient imaginée et assemblée dans une hâte euphorique ressemblaient concrètement. Ils ont aimé ce qu'ils ont vu, tout en demeurant conscients que trois matchs préparatoires ne font pas une saison et que la course effrénée est loin d'être terminée.