MONTRÉAL - Alors que plusieurs entraîneurs québécois rêvent d’une carrière dans la LNH comme celles d’Alain Vigneault, Jon Cooper, Claude Julien ou Barry Trotz, Sébastien Lemay aspire à un rôle de spécialiste du développement et il jouit déjà d’une enviable réputation dans ce domaine.
 
« Ce n’est pas toujours plaisant de regarder un match avec moi. La dernière minute peut durer 20 minutes. Je recule, j’avance, je recule encore et j’avance. J’essaie de comprendre (dans certaines séquences) où le joueur amène le poids sur sa lame de patin, pourquoi cette feinte fonctionne... Ensuite, je trouve des exercices pour reproduire ça », explique Lemay en souriant puisqu’il pense à sa conjointe qui doit parfois endurer ce manège.
 
Lemay a vu ses aspirations évoluer durant son parcours d’entraîneur au sein de l’Académie de hockey Denis Francoeur (AHDF) qui est associée au programme du Vert et Or du Séminaire St-Joseph.
 

« Il y a cinq ou six ans, je voulais plus devenir entraîneur. Mais, depuis, ça m’intéresserait moins de diriger une équipe junior par exemple. J’aime vraiment le développement individuel, c’est le côté qui me passionne. Je peux passer 45 minutes à décortiquer une séquence. Je suis vraiment bien à cet emploi, mais c’est sûr que si j’avais une porte ouverte, une journée par semaine, pour du développement au niveau junior ou universitaire, je sauterais dessus, j’aimerais bien ça », a convenu l’instructeur.
 
Depuis quelques années, le développement des habiletés s’approprie enfin plus de place au hockey. Pourtant, Lemay constate que l’ajustement tarde à se faire à quelques endroits.
 
« Je regarde des matchs de niveau junior et plusieurs équipes n’ont pas d’entraîneur de développement des joueurs. Je trouve ça dommage un peu. Il y a de bons joueurs costauds qui sont dominants, mais ils ont encore beaucoup de lacunes dans leur patinage après leurs quatre années et ce n’est jamais travaillé sauf durant l’été. Ils arrivent pour faire le saut vers les rangs professionnels et ils ne sont souvent pas en mesure de le faire », a confié Lemay sans qu’on puisse le contredire.
 
Au départ, l’AHDF embauchait des consultants externes pour développer les habiletés de patinage.
 
« À un certain point, j’ai déterminé qu’on pouvait s’occuper de cet aspect et l’amener encore plus loin. Sébastien était très ouvert à ça et il s’est perfectionné dans l’art du patinage qui a beaucoup évolué dans la LNH. Il a fouillé, il s’est inspiré des meilleurs dans ce domaine si bien qu’aujourd’hui, il est sollicité pour du travail individuel en power skating. Il est vraiment à un haut niveau dans ce qui se fait là-dedans », a souligné Francoeur.
 
Durant sa carrière prospère dans la LHJMQ, Francoeur a partagé son savoir à de nombreux entraîneurs et il reconnaît le potentiel de Lemay. 
 
« Au niveau des connaissances, il se classe avantageusement dans ce groupe. Je ne crois pas qu’il ait les mêmes ambitions qu’eux, mais ça n’enlève rien à sa qualité d’entraîneur et d’enseignant. Dans le hockey, de nos jours, ça prend des spécialistes un peu partout », a noté Francoeur qui a notamment travaillé avec André Tourigny, Benoît Groulx et Claude Bouchard.
 
Ainsi, il ne faut guère être surpris des inspirations différentes de Lemay. 
 
Sébastien Lemay« On a tous nos modèles dans la vie. De mon côté, c’est l’équipe du développement des Maple Leafs : Barbara Underhill pour le patin, Denver Manderson pour le maniement de rondelle et Darryl Belfry pour le transfert des situations de matchs dans les entraînements. Par exemple, si on remarque qu’Auston Matthews a de la misère à décocher son lancer quand il est placé de telle façon, il va trouver un exercice pour améliorer ça », a-t-il dévoilé lors d’un entretien rafraîchissant avec le RDS.ca.
 
« Je me suis inspiré de ce modèle. Depuis quelques années, j’intègre beaucoup de contexte de partie, ça aide le joueur concrètement. Avant, pour le power skating, on parlait beaucoup des poussées. Maintenant, j’ai souvent plus l’air d’une patineuse artistique que d’un joueur de hockey. Chaque joueur, j’essaie de le rendre confortable sur chaque patin et dans plein de gestes. Dans un match, tu es souvent en déséquilibre, ça prend des transitions rapides », a poursuivi Lemay.
 
Au fil des ans, Lemay a bénéficié de la prolifération de contenu sur des outils comme Instagram et Twitter. De plus, il a développé un réseau de contacts dans l’Ouest canadien et aux États-Unis tout en épiant de près ce qui se fait en Russie, en Suède et en Finlande. Encore là, il ne suit pas uniquement des entraîneurs de hockey, mais plusieurs patineuses artistiques.
 
Bref, pour revenir à ce que Francoeur disait, son expertise est désormais reconnue.
 
« J’enseigne à des joueurs du Midget AAA, du junior, de l’USHL, de l’Europe. C’est bien amusant », a indiqué Lemay.
 
Des entraîneurs établis en sol américain, comme Ben Guité de l’Université du Maine, se tournent également vers lui. 

« Il m’envoie des extraits de certains joueurs qui ont de la misère par rapport à certaines choses dans le patinage. Je me suis même filmé en roller blade sur un terrain de tennis pour lui montrer des exercices à travailler avec ses joueurs. Il filme sa séance et me renvoie le tout pour que j’observe le résultat et je retourne d’autres exercices », a décrit Lemay qui, bien entendu, ne peut pas se déplacer en personne en raison de la COVID-19.  
 
Un programme qui inspirera ailleurs au Québec ? 
 
Jack Han, qui déploie une approche avant-gardiste du hockey, a été séduit par la philosophie de Lemay. 

« Il n’est pas si vieux, mais il est très ouvert d’esprit pour son âge (46 ans) et j’admire beaucoup cet aspect chez lui. Il recherche beaucoup d’informations et il essaie d’implanter ça au Québec », a noté Han avec franchise.
 
Leur relation leur a permis d’aborder plusieurs éléments incluant les commentaires de Michaël Bournival qui travaille aussi au Séminaire St-Joseph.  
 
« Bournival racontait la différence au niveau du développement entre Lightning et le Canadien. Quand il était avec Tampa, même s’il jouait à Syracuse et qu’il n’avait pas de grandes chances de monter, il avait accès à beaucoup de ressources comme des cours de patin, des entraîneurs d’habiletés et encore plus. Avec le CH, tandis qu’il était en train de percer, il avait très peu d’aide de ce genre », a soulevé Han.
 
Lemay avait d’ailleurs invité Han à assister à un entraînement à Trois-Rivières avant l’éclatement de la pandémie.
 
« Des équipes comme les Chevaliers et le Séminaire en font beaucoup, ce sont deux pôles qui se développent bien au Québec, tant du côté des joueurs que des entraîneurs. Peut-être que ça va créer un effet d’entraînement pour le reste de la province. Il y a encore des gens dans la région de Montréal qui font les choses de la même manière depuis 30 ans. Peut-être qu’ils vont se réveiller un peu et qu’une compétition saine et bénéfique se développera », a ajouté Han qui prône l’évolution avant tout.
 
Une perte d'emploi qui a changé sa vie 
 
Ce parcours prometteur de Lemay a démarré d’une manière inattendue. Il y a une quinzaine d’années, il a accepté l’invitation d’un ami pour l’aider, quelques jours, dans son école de hockey. Il n’aurait jamais cru que la piqûre serait aussi forte et que ça deviendrait son nouveau métier quand l’abattoir de Princeville, où il travaillait, a cessé ses opérations.
  
Il a alors parcouru le Québec pour travailler dans différentes écoles de hockey. Après avoir acquis la formation nécessaire via Hockey Québec, Lemay s’est déplacé encore plus loin. Il a participé à des camps dans des villages Atikamekw, il s’est rendu jusque dans le grand nord pour un programme avec la Nation crie au Nuvavik et il a été particulièrement comblé par une expérience qu’il a répétée au nord de Chibougamau.   
 
Sébastien Lemay« J’ai décidé d’y aller une semaine et je suis vraiment tombé en amour. Ce sont des passionnés qui n’avaient jamais vraiment eu de coaching. Ils embarquaient sur la glace avec des rondelles, des bâtons et des cônes en faisant un peu n’importe quoi. Ce n’était pas toujours facile au début, ils étaient moins habitués d’être rigoureux et intenses, mais on a monté un beau programme. C’était vraiment plaisant de partager notre savoir », a raconté Lemay, père d'une fille qui a eu un beau parcours au hockey et d'un fils, Joaquim, qui évolue dans le circuit BCHL. 
 
Sa passion ne laissait aucun doute et il a trouvé le contexte idéal pour s’épanouir auprès de Francoeur qui l'a embauché alors qu’il n’était qu’à la base de la pyramide du hockey mineur.
 
« Je l’ai formé et je lui ai donné beaucoup de latitude ensuite. C'est là qu'il a commencé à voler de ses propres ailes et à gérer des dossiers importants dans l’Académie. C’est un bon allié qui a progressé au fil des ans et, aujourd’hui, il maîtrise vraiment tout dans l’art d’enseigner ces choses », a vanté Francoeur.
 
« J’avais juste coaché du novice quand j’ai commencé avec Denis. Disons que les deux premières années, j’avais les oreilles grand ouvertes. J’écoutais et je ne parlais pas beaucoup », a exposé Lemay qui a fait énormément de chemin depuis qu’il a hérité des rênes d’une équipe à sa troisième année. 

Notons que Francoeur et Lemay vivront un grand moment cet été alors que la première cuvée de l’AHDF sera admissible au prochain repêchage de la LNH. Quelques-uns de leurs anciens protégés devraient être repêchés dont Zachary Bolduc et Guillaume Richard.