Champion de légende, gentilhomme, homme de chair et de sang: les substantifs peinent à prendre la mesure du pilote de bobsleigh Eugenio Monti, sextuple médaillé aux JO d'hiver, dont un doublé en or à Grenoble en 1968, et nonuple champion du monde.

Né en 1928 à Dobbiaco, sublime porte d'entrée des Dolomites italiennes où le compositeur Gustav Mahler venait chercher l'inspiration, Monti trouva dans la verticalité des montagnes l'aspiration à une vie à toute vitesse.

À l'aube de ses 20 ans, il était le rival national du Toscan Zeno Colo, alors la référence mondiale du ski alpin. Pourtant, s'étant blessé au genou gauche en novembre 1951, Monti dut faire le deuil des Jeux d'Oslo l'année suivante où Colo remporta l'or de la descente.

Une seconde blessure, deux ans plus tard, obligea le fils d'hôteliers à renoncer pour toujours aux compétitions de ski alpin.

Monti, qui excellait dans quasiment toutes les disciplines de la neige (fond, saut) et de la montagne (escalade), trouva sa résurrection avec le bobsleigh, la F1 des sports d'hiver. Dans l'exiguïté d'un engin lancé à 120 km/h dans un boyau de glace aux virages relevés, l'ex-descendeur illustra pendant 14 ans au plus haut degré la synthèse du courage et de l'audace, de la rigueur et des trajectoires.

Déni

Aux Jeux de Cortina d'Ampezzo, en 1956, Monti, surnommé « le rouquin volant » par le journaliste Gianni Brera, avait débuté dans la carrière par deux médailles d'argent (bob à deux et à quatre), et aussi un déni de justice. La Fédération italienne des sports d'hiver avait en effet réservé le meilleur engin au duo Lamberto Dalla Costa-Giacomo Conti, représentants de l'armée de l'air.

Après l'intermède sans bobsleigh de 1960 à Lake Placid (Etats-Unis), Monti retrouva le podium aux Jeux d'Innsbruck, en février 1964, deux fois troisième. Il atteint surtout à une dimension à laquelle la gloire de la piste ou du terrain ne permet pas d'accéder.

A l'issue de la 1re manche du bob à deux, Monti avait prélevé de son engin un boulon d'un patin pour le donner au duo britannique Tony Nash-Roby Dixon, qui venait de casser cette pièce.

Les Britons remportèrent finalement l'or devant la seconde paire italienne Sergio Zardini-Romano Bonagura.

Lors de l'épreuve à quatre, Monti aida aussi son ami et pilote Vic Emery à réparer l'axe supérieur du bob canadien, qui gagna à son tour l'or.

Premier récipiendaire du prix international du fair-play Pierre-de-Coubertin, en 1965 à Paris, Monti déclara: « C'est un geste que tout sportif devrait être en mesure de faire ».

À 40 ans, et à ses troisièmes Jeux, l'Italien réalisa le doublé rêvé en février 1968 à L'Alpe d'Huez, sur la piste où il avait été victime l'année précédente d'un grave accident.

 Virages de la vie

Mais les affres de la vie familiale se révélèrent plus redoutables que les innombrables virages affrontés en course.

Entrepreneur estimé, celui qui avait supporté le stress des descentes vertigineuses, vécut douloureusement la séparation avec sa jeune épouse repartie aux Etats-Unis en compagnie de leur fille Amanda.

Et surtout le « Genio » (génie) ne se remit jamais de la mort par overdose de son fils Alec. Le regard voilé par une indicible tristesse, le plus grand bobbeur de tous les temps (dixit ses adversaires, qui étaient aussi ses premiers admirateurs) n'était plus que l'ombre de l'intraitable compétiteur.

La maladie de Parkinson mina sa dernière résistance. Le 30 novembre 2003, l'ex-champion se tira une balle dans la tête à son domicile de Cortina. Ses équipiers de Grenoble, incrédules, hissèrent le cercueil sur les épaules.

Luciano De Paolis, qui avait l'ordre de « ne jamais freiner », avait capté la délicatesse de son capitaine par ces mots: « Il laissait que les autres se sentissent champions, alors que le champion c'était lui ».