Il fallait d’abord chasser l’amertume, tarir les larmes, fermer les yeux sur le miroitement de l’or ou le scintillement de l’argent, faire table rase des sentiments négatifs et prendre un élan pour aller vers du solide, du solide comme le bronze. La tâche qui attendait les Canadiennes était colossale : battre les Brésiliennes sur leur sol, ce qu’elles n’avaient jamais fait, devant une foule qui leur était soudainement hostile, alors qu’elles avaient bénéficié de ses faveurs tout au long de la semaine. Et elles l’ont fait. Brillamment. Avec leur cœur. Avec leurs tripes.

John Herdman a pris les choses en mains. Devant l’Allemagne, en demi-finale, ses filles avaient manqué d’étincelle, usées peut-être par les exploits en série qu’elles avaient dû réussir pour se rendre là : battre l’Australie en ouverture de tournoi, battre l’Allemagne en phase de groupe pour une première fois en treize matchs, battre la France revancharde après l’élimination en médaille de bronze par le Canada à Londres, il y a quatre ans. La fatigue mentale, jointe à celle plus prosaïquement physique, a fait son œuvre. L’équipe était terne, sans vie sans ressort. Il fallait quelque chose de plus.

Herdman a donc titularisé la plus jeune de l’équipe Deanne Rose, 17 ans et 170 jours, et une vétérane d’expérience qui a toujours su être la bougie d’allumage le moment opportun, Josée Bélanger. Il a pris le risque de laisser sur le banc sa meilleure buteuse du tournoi, Janine Beckie, et préféré Bélanger à Rhian Wilkinson, titulaire du poste de latérale droite. Aujourd’hui il fait figure de visionnaire, Rose a marqué le premier but du match, devenant la plus jeune joueuse à marquer dans un tournoi de soccer olympique, et Bélanger a pesé sur tout le match, multipliant les appels, driblant habilement, patrouillant dans couloir droit avec force et conviction.

Le but de Rose était magnifique, concluant une superbe montée d’une Ashley Lawrence au meilleur de sa forme, tirant à la réception d’une passe précise au deuxième poteau. Barbara n’y pouvait rien. Le deuxième but, arrivé tôt en seconde mi-temps, allait devenir le but vainqueur et qui d’autre pour le marquer que la capitaine Christine Sinclair, inspirante et inspirée, qui jouait probablement son dernier match olympique. On aurait voulu écrire le scénario de ce match qu’on n’aurait pas fait mieux. Et comme il n’y a pas de héros sans chute, il fallait que le Canada trébuche à dix minutes de la fin, redonnant espoir au Brésil et aux cinquante mille spectateurs présents. Chaque action des Brésiliennes était portée par des cris, chacun de leurs mouvements soulevés par une vague qui les poussait encore plus.

Les Canadiennes ont supporté la pression et minute après minute se sont approchées du coup de sifflet final et libérateur. Elles ont réussi l’exploit et ont décroché pour des deuxièmes Jeux consécutifs, la médaille de bronze. C’était la conclusion espérée d’un match où elles auront été presque parfaites. En fait, personne n’a remporté tous ses matchs dans ce tournoi, c’est simplement le moment où la défaite a été subie qui a fait la différence. Mais cette équipe canadienne a certes gagné ses lettres de noblesse au cours des jeux de Rio. Entrée alors qu’elle était 10e au classement mondial de la FIFA, nul doute qu’elle va progresser de quelques échelons au prochain. Pour le calculer, on considère les résultats, le fait que ces résultats soient obtenus à domicile, à l’extérieur ou sur un terrain neutre, l’importance des matchs et la différence entre les équipes dans le classement mondial. Sur cinq équipes affrontées à Rio, quatre étaient mieux classées que le Canada.

C’est donc dire que les Canadiennes ont gagné à la fois le bronze et du lustre dans ce tournoi. Et le plus beau, c’est que le meilleur est encore à venir. Depuis qu’il est à la tête du Canada, Herdman est allé chercher deux médailles de bronze olympiques, une quatrième place aux Pan Am, un quart de finale en Coupe du monde. Il est allé chercher de très jeunes joueuses qui ont pu bénéficier de l’expérience des plus âgées, il a su établir un équilibre intéressant entre neuf joueuses nées en 1992 ou après, et celles qui étaient là bien avant elles. À titre d’exemple, Deanne Rose avait un an quand Christine Sinclair a marqué son premier but international.

C’est donc dire que l’avenir est rose (!) pour le Canada. L’équipe a été montée en vue du prochain cycle 2019 (Coupe du Monde) et 2020 (Jeux olympiques). Ce qu’elle est allée chercher à Rio vaut de l’or, même s’il est tout de bronze tinté.