À en constater les billets pour Pékin reçus par ses athlètes, l’Académie de glace de Montréal (I. AM) semble bien être le moyen de transport idéal pour se rendre aux Jeux olympiques en danse sur glace. Un véhicule fiable qui a fait ses preuves et qui a notamment été emprunté par deux duos québécois, bientôt arrivés à destination.

Marjorie Lajoie et Zachary Lagha ont entamé le cycle olympique actuel chez les juniors, alors que Laurence Fournier-Beaudry et Nikolaj Sorensen rejoignaient tout juste l’équipe canadienne. Dans les deux cas, ils ont suivi les indications d’entraîneurs d’expérience tels que Marie-France Dubreuil, Patrice Lauzon et Romain Haguenauer.

Force est d’admettre que le magnétisme de ce trio gagne en intensité : pas moins de 22 athlètes et cinq entraîneurs de l’Académie seront aux Jeux olympiques de Pékin en danse sur glace, représentant huit pays différents, au total. Son leadership s’entrevoit de plusieurs façons, notamment dans sa capacité à s’entourer « des meilleurs coachs au monde » pour attirer les plus grands patineurs de la planète.

Ces trois vieux routiers ont servi de guides et de moteurs à travers la tempête, à distance comme en présentiel. Retour sur deux itinéraires distincts pour le démontrer, tracés avec l’aide de mentors dévoués et empruntés par des athlètes inspirants qui ont su maintenir le cap jusqu’à Pékin.

Dans les grandes ligues

Partenaires lorsqu’ils étaient novices, Marjorie Lajoie et Zachary Lagha se sont séparés temporairement avant que Marie-France Dubreuil et Patrice Lauzon leur proposent une nouvelle union à leur arrivée à l’Académie.

« Ils ont eu un gros rôle à jouer dès notre rencontre en tant que futurs entraîneurs et ont fait en sorte qu’on soit ensemble. […] Ils agissent vraiment comme des mentors, ils ont tout un bagage d’expérience. C’est vraiment une belle école », vante Marjorie Lajoie.

Les deux danseurs ont été étincelants chez les juniors. Triples champions canadiens dans cette catégorie et multiples médaillés en Grand Prix, leur dernier tour de piste s’est conclu avec l’or aux Championnats du monde juniors à Zagreb, en 2019.

Il était grand temps pour eux de passer à la vitesse supérieure. C’est avec les deux mains sur le volant qu’ils sont arrivés dans les rangs seniors en regardant leur dernière année d’éligibilité junior s’éloigner, faute d’objectifs à atteindre.

« On a fini sur la meilleure note qu’on pouvait finir », soutient Lajoie.

Leurs performances ne les ont toutefois pas satisfaits à leurs débuts dans la cour des grands.

« En tant que champions du monde juniors, je me disais que le monde allait avoir beaucoup d’attentes envers nous. Je me suis mis trop de pression et ce n’était pas le fun au début, explique Lajoie. Je pense que c’est à notre avantage d’avoir connu un mauvais début de saison en étant plus jeunes. C’est mieux que plus tard, quand ça commence à compter pour vrai. »

Ils ont dû prendre un pas de recul pour retrouver leur erre d’aller et la pandémie a frappé quand ils avaient besoin de s’accorder un peu de répit. Une sorte d’arrêt aux puits où ils ont pu apporter les ajustements nécessaires, à un moment où la pression freinait leurs ambitions.

« Ç’a été un peu un cadeau pour nous, parce qu’on a pu retravailler sur la base de notre patin. Les compétitions ont arrêté et on a vraiment travaillé pour avoir plus l’air de seniors », décrit Marjorie.

« Je pense que ça nous a ouvert les yeux, poursuit Zachary. On travaillait, mais on travaillait comme tout le monde. Il n’y avait pas de travail extra et quand il n’y a pas de travail extra, la pente d’amélioration est juste dans la moyenne. Tout le monde s’améliore un peu chaque année, mais ce n’est pas assez pour se démarquer. »

On peut deviner que c’est cette mentalité qui motive Marie-France Dubreuil à les surnommer ses «Superkids ».

« Ils ne vont jamais à demi-mesure, ils sont toujours à fond ! » décrit-elle.

Cette « prise de conscience » a donc changé la donne et a remis le duo sur le droit chemin avec ses vieilles habitudes.

Fin tacticien dans l’âme, Zachary Lagha accorde beaucoup d’importance à décortiquer les performances et peaufiner les programmes. S’il a négligé l’analyse vidéo et les correctifs lors de son année recrue, il s’est promis de ne plus refaire la même erreur.

Quand tous s’y mettent

Marjorie Lajoie est constamment à la recherche de l’élément manquant, elle aussi. D’une touche de finition qui viendra accélérer le processus.

« On ne va pas sur la glace pour se faire dire que tout est beau. C’est un sport de perfection et jamais tu ne seras parfait. Il y aura toujours moyen de s’améliorer », dit-elle.

Le travail des entraîneurs de l’Académie entre alors en jeu. Ils sont en mesure de cibler les problématiques, tout en accordant beaucoup d’autonomie à leurs protégés. Tous ont leur mot à dire, ce qui contribue à rendre l’école si unique. Tout le monde met l’épaule à la roue.

« On aime développer chaque athlète avec singularité, selon les personnalités, confirme Marie-France Dubreuil. On ne fait pas un travail à la chaîne, même si le nombre [d’élèves] peut laisser penser ça. Chaque couple apporte des qualités différentes. »

Laurence Fournier-Beaudry et Nikolaj Sorensen côtoient leurs entraîneurs depuis une dizaine d’années et peuvent en témoigner.

« Ils sont très bons pour voir les qualités des athlètes et les faire ressortir, juge Laurence. Ce qui les différencie, et c’est une valeur qu’ils tentent de promouvoir quand ils enseignent, c’est que ce n’est pas seulement l’athlète qu’ils développent. Ils ne veulent pas juste développer des capacités à faire des virages propres, mais que tu sois une meilleure personne dans la société. »

Ici aussi, les entraîneurs ont largement influencé le destin de leurs athlètes, et ce, depuis le début de leur carrière.

Fournier-Beaudry et Sorensen étaient tous les deux à la recherche de partenaire en 2012. Sorensen avait hésité longuement et avait jeté son dévolu sur l’Ontarienne Vanessa Crone, Olympienne aux Jeux de Vancouver.

Six mois plus tard, Crone s’est arrêtée et Nikolaj Sorensen a fait marche arrière. Il a contacté Laurence Fournier-Beaudry par messagerie texte la journée même. Ils font équipe depuis et forment maintenant un couple.

Déjà, Marie-France Dubreuil avait flairé cette liaison et estimait que Laurence était la meilleure partenaire pour Nikolaj.

« Je me souviens, elle m’a dit à l’époque “ Nik, on ne pouvait pas vraiment te convaincre, mais on trouvait depuis le début que Laurence était la meilleure option pour toi, même si elle n’était pas aussi bien classée et moins connue ” », raconte Nikolaj Sorensen.

Après cinq saisons à représenter le Danemark, Sorensen et Fournier-Beaudry se dirigeaient droit vers un cul-de-sac. Les Jeux de PyeongChang leur ont glissé des mains en 2018, puisque Laurence ne possédait pas la citoyenneté danoise.

Le rêve olympique n’était atteignable qu’en changeant de bolide et c’est ce qu’ils ont fait en passant dans le camp canadien. C’était la seule issue possible pour ne pas avoir à faire demi-tour.

« Ça arrivait par petites doses. On réalisait qu’ils étaient très bons, mais qu’ils n’avaient pas le soutien nécessaire pour aller plus loin. Ils signaient des tops-10 sans bénéficier de l’aide adéquate d’une fédération », soulève Marie-France Dubreuil.

La préoccupation dont elle a fait preuve quant aux souhaits de ses athlètes illustre parfaitement la définition partagée par Laurence Fournier-Beaudry.

« Ils m’ont dit qu’ils ne seraient jamais complets sans la possibilité de faire les JO. Je ne veux pas qu’un de mes couples finisse sa carrière avec un goût amer, ce serait la pire chose ! [En tant qu’entraîneure], tu ne peux pas contrôler les résultats, mais tu dois tout faire pour que leur parcours soit une expérience positive. »

La relation n’a fait que se solidifier au fil du temps et a contribué à ce que tous gardent les yeux sur la route olympique, même si l’horizon semblait pointer vers un mirage, il y a quelques années. Sorensen et Fournier-Beaudry n’ont jamais été seuls dans ce périple miné d’une suspension, de blessures et d’une pandémie.

Prochain arrêt !

Passant de quatre couples olympiques à onze en seulement un cycle olympique, le meilleur reste à venir pour l’Académie de glace de Montréal, qui a même lancé une deuxième école à London, en Ontario, il y a un peu moins d'un an. Autre preuve du pouvoir magnétique des entraîneurs : ce programme est chapeauté par leur ancien athlète Scott Moir, champion olympique qui a tenu à rester à leurs côtés après sa retraite.

« On se concentre sur l’excellence, mais en entrant dans l’école, tu ne penses pas que ce sont des compétiteurs. C’est un travail d’équipe et on aime bien que tout le monde joue à s’élever les uns avec les autres », précise Marie-France Dubreuil, qui accompagnera l’équipe américaine à Pékin. Toute vêtue de noir cela dit, en guise d’impartialité.

Le véhicule va à vive allure et n’est pas près de s’arrêter. La passion des conducteurs évolue avec le temps, mais conserve son authenticité. Si certains en doutent, ils n’auront qu’à regarder leurs passagers accaparer le Palais omnisports de la capitale en février. Près de la moitié se côtoie quotidiennement et les concurrents se sentiront comme à la maison.