COLLABORATION SPÉCIALE

« Après avoir remporté deux titres de la NCAA avec Florida State University et une médaille d'or olympique avec l'équipe nationale canadienne de soccer, Gabrielle Carle s'est envolée pour la Suède au début de l'année 2022. Désormais joueuse professionnelle, la Lévisienne de 23 ans nous plongera au cœur de sa nouvelle vie en Scandinavie au travers de ses textes, à mi-chemin entre journal de bord et chroniques d'humeur. »

À la seconde où la roue arrière de notre bicyclette a explosé lors de notre premier jour à Kristianstad, Evelyne et moi aurions dû nous douter qu’il ne s’agissait que du premier chapitre d’une série de mésaventures mémorables. La journée que je m’apprête à vous raconter s’ajoute à une liste grandissante d’aventures que nous ne sommes pas près d’oublier.

 

Fin janvier : la traversée Suède-Danemark

 

Ce matin, je me réveille avant mon alarme, ce qui habituellement n’arrive que lorsque mon chat décide de se réchauffer les cordes vocales à 7 h du matin. Ce n’est cependant pas le concerto de miaulements de Mr. Klaws qui me sort de mon sommeil, mais plutôt le vent violent qui souffle à ma fenêtre. S’il y a une chose dont je suis sûre, c’est qu’ici les éoliennes n’ont pas de problème à produire de l’énergie. Au programme aujourd’hui, un voyage de deux heures en autobus vers le Danemark pour jouer un match préparatoire, mon premier, contre Brøndby FC. Sauf qu’à mon réveil, ce plan est en péril.

 

Depuis la nuit dernière, le pont de 7,8 km qui lie la Suède au Danemark, l’Oresund, est fermé en raison des bourrasques.Le pont d'Oresund

 

Vers 9 h 30, un message est envoyé dans notre groupe WhatsApp : le pont est de nouveau ouvert à la circulation. Nous prenons donc immédiatement la route vers le Danemark. Dès que nous entrons sur l’autoroute, l’autobus commence à vaciller. Il est clair que le vent est toujours de la partie. Beta, notre entraîneuse, passe de rangée en rangée pour nous suggérer fortement d’attacher notre ceinture de sécurité lorsque nous serons sur le pont.

 

Avant de recevoir cette suggestion, qui se veut préventive, mais qui n’a évidemment pas comme but principal d’inspirer confiance, j’étais très calme. Je sens maintenant monter en moi une appréhension similaire à celle que je ressens avant de décoller en avion. Il est improbable qu’une bourrasque titanesque nous fasse tomber du pont, mais je ne peux m’empêcher d’y penser.

 

Une heure plus tard, nous sommes à l’entrée du pont. Même si nous nous imaginons toutes la chute de 57 mètres de notre autobus dans la mer Baltique, il est difficile d’ignorer la beauté du paysage qui s’offre à nous. Il n’y a aucun nuage dans le ciel, le soleil fait scintiller l’eau qui s’étale à perte de vue. Une première bourrasque vient faire chanceler notre habitacle. La vue devient immédiatement moins pittoresque. La hauteur du garde-corps me semble soudainement plutôt insignifiante comparée à celle de notre autobus.

 

Quelques rangées devant moi, une de mes coéquipières pleure, deux autres essaient de la consoler. Au cours des dix minutes requises pour la traversée, l’angoisse se fait sentir dans l’autobus. De retour sur la terre ferme, nous échangeons toutes des regards en riant, conscientes que nos réactions étaient un peu exagérées... ce qui ne nous empêche pas d’être soulagées que le pont soit derrière nous.

Stade de Brondy

 

Quelques minutes plus tard, nous arrivons à un stade digne de la Ligue des Champions. Au lieu de s’arrêter à l’entrée, l’autobus continue son chemin vers un bâtiment de plus petite envergure. Le stade majestueux, c’est pour l’équipe masculine de Brøndby FC. Les femmes, elles, jouent sur un terrain synthétique situé à 10 minutes de marche des vestiaires. Normalement, cette disparité entre le soccer masculin et féminin instiguerait en moi un sentiment d’injustice monumentale, mais après notre récente épopée sur le pont, nous pourrions jouer dans un champ de vaches et je serais reconnaissante.

 

Au final, le voyage en aura valu la peine. Nous gagnons le match par la marque de 3-2. Ce n’était pas parfait, mais ça fait du bien de pouvoir enfiler les couleurs du club pour la première fois et obtenir un bon résultat. Je peux rentrer à la maison satisfaite de ma performance et de celle de l’équipe.

 

Mais la journée n’est pas terminée...

 

Vers 19 h, nous sommes de retour au complexe sportif. Au lieu de marcher, Evelyne et moi décidons de prendre notre voiture, garée dans le stationnement du complexe, pour rentrer à la maison.

 

Une fois arrivées devant notre porte d’entrée, Eve fouille dans ses poches pour trouver la clé. Pas de clé. Elle cherche dans son sac. Toujours pas de clé. Elle me demande si c’est moi qui ai verrouillé la porte ce matin. C’est rarement moi qui verrouille parce que j’ai beaucoup trop tendance à égarer les clés (ce qui porte à croire que c’est peut-être moi qui ai verrouillé la porte ce matin).

 

Toutes deux équipées d’une patience en voie d’extinction, on retourne en voiture au centre sportif pour voir si notre clé s’y trouve. En essayant d’ouvrir la porte d’entrée du complexe, on réalise que la porte est verrouillée. On s’approche dangereusement du bout du rouleau. Comme dernier recours, on appelle Beta en espérant qu’elle puisse nous aider.

 

Cinq minutes plus tard, elle nous rejoint devant la porte. Son sourire nous indique qu’elle trouve notre situation assez comique. Elle entre son code dans l’écran tactile, tire sur la poignée, puis... rien. « Sésame » ne s’ouvre pas. Notre entraîneuse décide donc d’appeler Lovisa, la directrice des opérations du club. Lumière au bout du tunnel, elle pense avoir un double de notre clé. Eve et moi nous accrochons à cette lueur d’espoir et prenons immédiatement la route vers sa maison.Formation du KDFF

 

Lovisa nous attend avec la clé devant sa porte d’entrée. Son visage porte la même expression que celui de Beta il y a une vingtaine de minutes. Décidément, Eve et moi sommes une source de divertissement pour les deux dirigeantes. Sans plus tarder, nous retournons à notre appartement, entrons la clé dans la serrure, et pour la première fois ce soir, réussissons à déverrouiller une porte. Après en avoir vu de toutes les couleurs en l’espace de 10 heures, on ne prend pas de chance et barrons immédiatement la porte derrière nous. Pas question de ressortir de la soirée.

 

Il serait surprenant que nous revivions une journée aussi rocambolesque de sitôt, mais si on suit la tendance actuelle, il est clair qu’il y en aura d’autres.