Voici le premier article d'une série de cinq qui se poursuivra vendredi avec Éric Maranda, un ancien du Rouge et Or de l'Université Laval qui a connu des ennuis à l'école. Grâce au football, il a terminé avec deux baccalauréats et deux maîtrises. 

MONTRÉAL – « J’aimais beaucoup la rue. En fait, j’aimais énormément la rue et elle m’appelait tout le temps...  Je pensais à l’argent et je me suis dit que l’école, ça ne sert à rien. Un moment donné, un ami s’est fait poignarder et ça m’a réveillé en quelque sorte; c’était rough. »

Junior Bien Aimé était lui-même à deux doigts de s’enfoncer dans le mauvais chemin. À vrai dire, il avait déjà commis quelques délits et certaines de ses fréquentations, d’un quartier périlleux de Saint-Léonard, ne l’incitaient guère à faire marche arrière. 

Pas plus fou qu’un autre, il voyait aussi que sa mère en arrachait à la maison pour arriver à ficeler le budget pour ses enfants. 

« Ça me vient me chercher quand j’en parle, mais j’ai été élevé par ma mère qui est monoparentale. Quand tu vois ta mère travailler comme une malade pour subvenir à tes besoins, parfois tu as envie de faire ton propre argent tout seul », a-t-il expliqué Junior Bien-Aimé sans voiler ce que ça insinuait.   

« Donc j’ai fait des bêtises en étant plus jeune et je me suis retrouvé avec plusieurs problèmes. J’avais toujours des amis qui me disaient ‘C’est bien beau l’école, mais qu’est-ce que tu veux faire ? », a enchaîné l’ancien porteur de ballon. 

Ce discours ne détonnait pas du tout dans son milieu alors que « si tu te tiens avec la mauvaise gang à Saint-Léonard, tu vas facilement tomber du côté plus obscur. » La vie n’était pas rose pour bien des élèves à l’école secondaire Antoine-de-Saint-Exupéry, il se souvient que plusieurs camarades « sont allés en prison, d’autres sont morts, qu’une fille a fait une overdose récemment. Ils ne sont pas nombreux à avoir réussi. »

En toute honnêteté, Bien-Aimé sait qu’il se destinait vers un scénario sombre à cette époque. Déjà qu’il était attiré vers cet univers, il était envahi par une dose d’agressivité difficile à gérer. 

« Le fait de ne pas avoir grandi avec mon père, ça m’a causé beaucoup, beaucoup de colère. Je ne l’acceptais vraiment pas. J’avais de gros problèmes à respecter la justice. Si un policier me parlait, je ne voulais rien savoir », a précisé le jeune homme. 

Cette relation conflictuelle avec l’autorité a culminé lors d’un incident.  

« Au secondaire, j’ai fini par me battre avec un policier. Ça s’est rendu loin, en cour, au criminel, il voulait porter plainte. Mais j’ai été acquitté finalement. C’est simple, chaque semaine, je me battais. Ce n’était pas beau, vraiment pas », a confié Bien-Aimé qui voyait la bagarre comme la meilleure façon de se faire respecter dans ce milieu scolaire peu reposant. 

Junior Bien-AiméSans s’en douter, c’est un conseil d’un ami qui a permis à Junior Bien-Aimé d’amorcer un virage dans la bonne direction. Voyant sa vitesse sur les terrains de basketball, ce copain lui a lancé avec toute sa franchise ‘Le basket, c’est un sport de ... ! (On peut vous épargner le mot) Tu cours vite, as-tu déjà essayé le football ?’

Dès qu’il s’est approché du sport qui deviendrait un exutoire, Bien-Aimé a senti une révélation. La vitesse, les contacts, les coups, tout le séduisait. On aurait pu croire qu’il aurait plongé dans cette discipline sportive pour toujours. Pourtant, il a plutôt lâché le football après une semaine ! 

Heureusement, il s’est laissé convaincre de se donner du temps pour apprivoiser ce sport sans pitié.   

« Après plusieurs années, j’ai compris que le football m’a rendu plus calme, moins colérique et moins frustré. Je pouvais enfin discuter au lieu de seulement agir. Avant, quand j’avais un problème, je ne pouvais pas en parler. J’étais tellement en colère, il fallait que je frappe », a cerné celui qui a commencé le football à 17 ans. 

« Je n’aurais jamais misé sur lui au début »

Mais Bien-Aimé n’était pas encore sorti de l’embarras. 

« Il y avait toujours quelque chose qui faisait en sorte que mon pied restait dans ce milieu. Je me rappelle d’une fois, j’avais raté une pratique pour aller faire un petit quelque chose et je me suis fait arrêter! J’avais préféré aller faire un petit coup d’argent. Dans la voiture de police, je me disais ‘Si j’étais allé à ma pratique, rien de ça ne serait arrivé... », a-t-il avoué. 

Fort de ses performances avec les Cougars de Saint-Léonard, Bien-Aimé a été en mesure de se joindre aux Carabins de l’Université de Montréal. Cela dit, au départ, l’université n’était, à ses yeux, qu’un passage pour poursuivre le football. 

« Je n’étais même pas certain de vouloir continuer l’école après le secondaire. J’entendais les autres qui parlaient de leur projet de vie et tout. Je n’étais pas encore rendu là. Beaucoup de chose se passaient dans ma vie », a reconnu celui qui a évolué sous les ordres de Danny Maciocia.Junior Bien-Aimé 

« Jusqu’à temps que je me réveille en crise un matin. Je me disais ‘C’est bien beau, tu joues au foot, mais tu ne sais même pas ce que tu veux faire dans la vie. »

Alors que son ami venait de se faire poignarder et qu’il venait de frapper un mur mentalement, il ne se doutait pas que son cul-de-sac scolaire de l’instant le sauverait. Les dossiers académiques, complexes et moins complexes, des étudiants-athlètes aboutissent sur le bureau de la conseillère académique Virginie Allard-Caméus. 

« Quand je suis allé voir Virginie, j’étais découragé. Je n’étais plus moi-même. ‘Aidez-moi parce que je suis à deux doigts de péter au frette, lâcher l’école et aller faire des conneries pour aider ma mère financièrement’ », lui avait lancé l’ancien numéro 19.  

Tout le monde décrit cette ressource comme celle qui accomplit de petits et grands miracles depuis 15 ans dans ce rôle si précieux. À écouter la voix de la conseillère, on sait que ses yeux pétillent quand on prononce le nom de Junior Bien-Aimé. 

« Je n’aurais jamais misé sur lui au début, mais j’ai misé sur sa détermination », a avoué Allard-Caméus avec franchise. 

« Ce n’est pas un secret qu’il aurait pu prendre le mauvais chemin. Il est venu me voir en 2013 pour me dire qu’il avait un plan, qu’il voulait compléter un baccalauréat en criminologie. Je lui ai répondu ‘Ça va prendre du temps, mais si tu suis chaque étape, on va y arriver’. Ce gars-là a tellement bûché, je n’ai jamais vu ça ! Il a tellement travaillé fort. », a-t-elle enchaîné avec fierté à son égard. 

Loin d’être doué à l’école, Bien-Aimé n’avait pas les notes requises pour accéder à ce programme. Il a dû d’abord passer par un certificat où il a décroché de bons résultats. 

« Le jour que j’ai été accepté pour le Bac, j’ai pleuré. J’ai tout de suite appelé Virginie, je pense même que je criais de joie au téléphone. Pour moi, c’était comme le gros lot. J’en parle et je ressens beaucoup de bonheur. De rentrer à ce Bac, ça valait plus que tous les coups que j’ai pu faire dans la rue », a-t-il cerné.  

« Quand je l’annonçais à certains amis, ils me disaient ‘Hein, toi? Ben voyons, on te connaît, c’est impossible. Ils me disaient même des blagues du genre ‘Comment un criminel peut étudier en criminologie’ », s’est-il rappelé.  

Le verbe bûcher est adéquat. Il a entamé ce processus en 2013 et il a obtenu ce diplôme dont il rêvait en 2020, sept ans plus tard! Un seul regard de sa mère a validé les efforts déployés.  

Virginie Allard-Caméus« Ma mère a traversé plusieurs épreuves avec moi. Elle était tannée, elle n’était plus capable, mais elle disait que je serais correct, que je devais juste être encadré. Maintenant que j’avais mon diplôme, ma mère se disait ‘C’est bon, voilà, j’ai fait ma job’. C’est un peu difficile à expliquer, mais ça se voyait tellement, toutes les émotions, dans ses yeux », a raconté Bien-Aimé qui était surnommé « le petit renard » par sa mère car il trouvait toujours une manière de se sortir du pétrin. 

Honnête, il a également une pensée pour des amis de la rue. 

« Il y en a qui avait vu un potentiel en moi. Ils me disaient que la rue ce n’était pas fait pour moi, que je pouvais aller à l’école. Même que quand ils faisaient des choses, ils ne m’appelaient jamais, ils ne voulaient pas que je me mette dans le trouble. Je les appelle des grands frères malgré ce qu’ils ont pu faire dans la rue », a exprimé Bien-Aimé qui, ironiquement, travaille pour le département anti-fraude d’une grande entreprise.  

Le football n’est pas un sport parfait et ce serait bête de le croire. Mais, puisqu’il exige de fréquenter l’université pour gravir les échelons, le football accomplit de petites merveilles comme l’histoire de Bien-Aimé. 

D’autres personnages bienveillants ont permis cette conclusion. Outre sa mère, il pense sur-le-champ à Ronald Hilaire, Steve Alexandre, Fabrice Raymond, Marco Iadeluca, Jean-Pierre Chancy et surtout Virginie Allard-Caméus. « C’est une personne qui a littéralement sauvé ma vie. »

« Ce qui est dommage dans tout ça, c’est que je ne suis pas le seul joueur de foot qui a vécu des problèmes, mais il y en a qui ont fait des mauvais choix et ils sont dans de mauvaises conditions aujourd’hui. C’est bizarre à dire, mais ils m’ont aidé parce qu’ils ont été des exemples de ce que je ne voulais pas devenir. Ça m’arrivait parfois de vouloir lâcher, mais je continuais », a conclu Junior Bien-Aimé qui pourra inspirer des jeunes d’une manière positive.