MONTRÉAL – Dès qu’il a appris qu’il allait enfin signer son premier contrat avec l’UFC, Aiemann Zahabi a pris son téléphone et a appelé Georges St-Pierre. Quand on compte sur un coéquipier de cette stature, on serait fou de se passer de ses conseils.

St-Pierre aurait pu se porter volontaire pour étudier les séquences vidéo de Reginaldo Vieira, celui qui accueillera Zahabi dans les ligues majeures dimanche (RDS2, 19 h) à Halifax. Il aurait pu aiguiller son ami sur la gestion du stress qui l’attend ou lui pondre un beau petit discours sur l’importance de ne pas laisser filer sa première chance.

Mais rien de tout ça n’a été dit. Quand GSP a appris que le talentueux jeune frère de son entraîneur s’apprêtait à mettre officiellement un premier pied dans ses traces, c’est de business qu’il lui a d’abord parlé.

« Il m’a dit de ne pas me battre pour trop peu d’argent! », lançait Zahabi à la blague une semaine avant son départ pour la Nouvelle-Écosse.

L’approche de St-Pierre n’a rien d’étonnant. Au fil de sa carrière, l’ancien champion du monde est devenu un homme d’affaires averti, revendicateur et militant. Il est lui-même impliqué dans une âcre dispute contractuelle avec l’UFC. Il s’est aussi affiché publiquement comme l’un des membres fondateurs de la nouvelle Association des athlètes d’arts martiaux mixtes.

Ses sages paroles à l’endroit de Zahabi n’avaient toutefois pas nécessairement pour but de protéger une jeune recrue contre un employeur exploiteur. Elles se voulaient plutôt un éloge à la patience dans un monde où chaque petit détail peut faire une différence capitale.

« Je recevrai 10 000 $ pour ce combat, le double si je gagne. C’est le salaire minimum à l’UFC. Si je me bats contre un gars qui touche six fois plus, j’aurai un gros désavantage parce qu’il aura les moyens de s’entourer de meilleurs experts, de voyager pour aller acquérir plus de connaissances. L’argent lui permettra d’évoluer et de s’améliorer tandis que moi, je serai plus limité », raisonne Zahabi.

« Georges m’a donc dit d’écouler mon premier contrat contre des adversaires du même calibre. Lorsque viendra le temps de renégocier, je pourrai demander un salaire à la hauteur de mes ambitions. Il m’a dit de connaître ma valeur et de ne pas me battre pour des miettes. »

Le jeune poids coq a aimé ce qu’il a entendu. Même si, à 29 ans, le temps joue déjà contre lui, le plus récent diplômé du gymnase Tristar a l’intention d’être aussi patient pour monter les échelons à l’intérieur de l’organisation qu’il ne l’a été pour y entrer.

Parce que la patience, Aiemann Zahabi connaît.

Son histoire a déjà été racontée dans ces pages. Frère cadet de Firas Zahabi, le populaire coach du Tristar, Aiemann s’est d’abord fait les dents en donnant un coup de main aux grosses pointures qui venaient s’entraîner au gymnase. On disait de lui qu’il était bourré de talent, mais ce n’est qu’à 25 ans, après un passage parfait dans les rangs amateurs, qu’il a disputé son premier combat professionnel. « J’ai beaucoup de choses à apprendre, de l’expérience à acquérir », disait-il à l’époque.

Des combats, il n’en a livré que six en quatre ans. Mais au début de l’année 2016, il affirmait se sentir prêt à passer à l’autre étape. Il l’a fait savoir aux dirigeants de l’UFC. La réponse qu’il attendait est venue quelques mois plus tard. Sa patience l’a bien servi et il n’a pas l’intention de s’en éloigner.

« J’aurais aimé commencer un peu plus jeune à l’UFC, mais ce n’est pas comme si j’avais perdu mon temps non plus, rassure celui qui montre une fiche de 6-0 chez les pros. Je me sens aussi fringant qu’à mes tous débuts. À 39 ans, Demian Maia est presque imbattable. Stephen Thompson vient d’obtenir un combat revanche pour une ceinture à 34 ans. Il n’est pas rare de voir des champions de 35 ou 36 ans, alors ça ne m’inquiète pas trop. Si je me garde en santé, je sens que mes habiletés me placeront au-dessus de la mêlée. »

Encouragé par Dillashaw

L’expérience – ou l’absence de celle-ci – pourrait être un facteur déterminant dans le déroulement du baptême de Zahabi à l’UFC.

En toute transparence, le jeune Lavallois n’a pas affronté des compétiteurs de qualité supérieure au cours de son apprentissage dans les circuits mineurs. Quatre des adversaires qu’il a épinglés à son tableau de chasse montrent aujourd’hui une fiche perdante. Ses deux autres rivaux étaient encore plus verts que lui.

Aiemann Zahabi

Reginaldo Vieira (13-4), 34 ans, compte près de trois fois plus de combats à son actif. Il a presque autant de victoires par soumission à sa fiche que Zahabi n’a de minutes d’action dans une cage. Le Brésilien a aussi l’habitude des projecteurs. Il s’est battu sur la carte principale de l’UFC 190, un gala qui mettait en vedette Ronda Rousey.

Mais cet avantage marqué pour son adversaire n’intimide pas Zahabi.

« Je puise ma confiance dans toutes mes années d’entraînement et pas nécessairement dans mes combats, explique-t-il. L’enseignement de haut niveau que j’ai reçu dans le gymnase, ça vaut toute l’expérience du monde. »

« Depuis que j’ai 16 ans, je suis impliqué dans des camps d’entraînement de haut niveau. J’ai été l’un des principaux partenaires de Kenny Florian pour son combat contre José Aldo. J’ai aidé Georges à se préparer pour plusieurs combats tout comme je l’ai fait pour Miguel Torres. Je n’ai pas l’impression de manquer d’expérience. Même si l’octogone m’est étranger, je ne suis pas impressionné par un gars avec 20 combats à sa fiche. Ça ne me fait plus aussi peur qu’à mes débuts. »

Zahabi a obtenu la validation suprême de ses convictions lors d’un récent passage de T.J. Dillashaw au Tristar. L’ancien champion de la division des poids coqs s’est entraîné pendant une dizaine de jours à Montréal. Zahabi et lui se sont découvert des atomes crochus et se sont promis de se revoir. Avant de partir, le Californien a donné une bonne tape dans le dos à son hôte.

« Il m’a dit que j’étais prêt pour l’UFC. D’entendre ça de la bouche de l’un des meilleurs au monde, d’un gars qui se bat dans la même catégorie que moi, ça m’a fait un bien immense. Je suis convaincu que j’y ai ma place. »

Un monde idéal

Parce qu’il s’attend à un combat exténuant, Zahabi a apporté quelques modifications à son entraînement. Suivant les recommandations du consultant George Lockhart, il a commencé son programme de nutrition sept semaines avant la date de sa compétition, c’est-à-dire trois semaines plus tôt qu’à l’habitude.

Aiemann Zahabi

« Je voulais m’assurer d’être dans une forme irréprochable parce que Vieira lutte beaucoup, il tente toujours d’épuiser ses adversaires. J’ai beaucoup travaillé sur mon cardio, comme je le fais toujours, mais je me suis mieux nourri. Je suis déjà taillé au couteau! Si je mange mieux et que je me sens mieux, je crois que ça m’aidera mentalement durant le combat. »

Vieira a disputé deux combats à l’UFC. Il a signé une victoire par décision unanime contre Dileno Lopes à ses débuts et a perdu par soumission face à Marco Beltran l’été dernier.

« Je m’attends à ce qu’il tente de me soulever et de me projeter au sol à répétition, prédit Zahabi. C’est généralement la formule qu’il privilégie. C’est un bourreau de travail qui affaiblit ses adversaires à petit feu. Moi, j’ai bien l’intention d’inverser les rôles. Je veux le mettre sur son dos, le faire souffler un peu et voir comment il va réagir quand c’est à lui que ce genre de chose arrive. »

Dans un monde idéal, Zahabi se débarrasserait de son prochain adversaire aussi facilement qu’il s’est débarrassé de ses six premiers. Il passerait ensuite au défi suivant, puis à l’autre. On a beau être conscientisé aux vertus de la patience, il y aura toujours des avantages évidents à faire vite et bien.

« Je ferais un salaire décent et surtout, mon nom resterait pertinent. C’est difficile de garder l’attention des amateurs quand on se bat seulement une fois ou deux par année », réalise Zahabi.