Lundi matin, la LNH a suspendu Slava Voynov des Kings de Los Angeles pour une période indéterminée à la suite d’une arrestation pour violence conjugale. Conséquemment,  Voynov ne pourra disputer de matchs avec son équipe durant son enquête, mais il continuera à recevoir un salaire malgré tout. Rappelons que Voynov a été arrêté en vertu de l'article 273.5 du Code pénal de Californie selon lequel des lésions corporelles auraient été infligées intentionnellement, causant chez la victime un choc traumatique.

Ici, le terme « traumatique » réfère à tout dommage causé par l'application de la force physique. Les lésions traumatiques peuvent être graves ou mineures et comprendre notamment des fractures, commotions, foulures, contusions et des blessures causées par suffocation ou étranglement. Bien entendu, le type d’accusations qui sera portée contre Voynov dépendra d'un certain nombre de facteurs tels la gravité des blessures subies et la présence d’antécédents judiciaires. Dans l’État de la Californie, une infraction de violence conjugale est soit un crime ou un délit dépendamment de la sévérité des lésions corporelles et les peines varient selon la classification que nous en faisons.  

Si Voynov est reconnu coupable d’un crime, il est passible de quatre années d’emprisonnement et possiblement de cinq années supplémentaires s’il a causé un préjudice grave alors qu’un délit est passible d'une peine d’emprisonnement d’un an. Au surplus, il est essentiel de spécifier qu’aux États-Unis, la violence conjugale peut avoir des conséquences graves sur les accusés qui ne sont pas citoyens américains, et tel est le cas de Voynov. En vertu d'une loi fédérale, un non-citoyen peut être déporté s'il est reconnu coupable de violence conjugale.

Fondement de la suspension

Cette suspension est fondée sur l'article 18-1.5 de la convention collective, lequel octroie à la ligue le droit de suspendre un joueur pendant une enquête criminelle lorsqu'un athlète agit de manière préjudiciable ou à l'encontre de ses valeurs inhérentes. D’entrée de jeu, mentionnons que cet article n’est pas nouveau et fait partie de la convention collective depuis déjà plusieurs années.

Coupable ou non, de tels comportements embarrassent la LNH et c’est pourquoi il importe de se questionner sur le rôle qu’elle doit jouer face à la conduite hors glace de ses joueurs. Selon l’article 18-1.5, il ne suffit pas d'éviter d'être reconnu coupable d'un crime en ce qu’un employé de la LNH est tenu de se conduire en tout temps dans le meilleur intérêt de la ligue. Ainsi,ceux qui contreviennent à une norme de conduite seront sanctionnés, et ce, même si leur conduite ne donne pas lieu à une condamnation criminelle.

Possible réaction de l’AJLNH

Cependant, force est d’admettre que l’interprétation de l’article 18-1.5 de la convention collective semble vague. Dans une telle optique, est-ce que l’AJLNH pourrait déposer un grief au nom de Voynov contre la LNH? L’AJLNH pourrait prétexter que la violence conjugale ne porte pas directement préjudice à la réputation de la ligue et qu’elle n’est pas expressément prévue à cet article. Le problème est que normalement l'AJLNH ne pourrait pas contester la décision de la LNH puisqu’il s’agit d’un article qu’elle a collectivement négocié et accepté. Ici, l’AJLNH pourrait toutefois alléguer qu’elle n'a pas expressément accepté une suspension pour violence conjugale, mais plutôt une suspension pour protéger la réputation de la LNH. La difficulté d’interprétation réside dans la circonscription des circonstances sujettes à préjudice pour la ligue. Ainsi, devons-nous comprendre que cet article englobe forcément les cas de violence conjugale puisqu’il est assez large pour permettre la suspension de Voynov? L’interprétation que Gary Bettman a faite de l’article 18-1.5 hier semble inclure la violence conjugale tel un moyen de miner la réputation et les intérêts de la LNH. Certes, c’est une question qui mériterait d’être débattue puisque chaque partie a de bons points à faire valoir.

Présomption d’innocence

En l’espèce, la suspension de Voynov est une mesure disciplinaire appliquée par la LNH, mais cette décision remet forcément en doute le principe de présomption d'innocence. Voilà que l’AJLNH pourrait alléguer que la présomption d'innocence est la pierre angulaire de notre système judiciaire et qu’il doit être respecté scrupuleusement. À ce titre, l’AJLNH pourrait prétendre que la réaction aussi immédiate et prompte de la LNH suggère prématurément la culpabilité de Voynov. Quelles que soient les accusations qui pourraient être portées contre lui,  Voynov est innocent jusqu'à ce que sa culpabilité soit établie.

Il faut comprendre que les athlètes professionnels ont droit aux mêmes garanties constitutionnelles que le reste de la société. De telle sorte que la présomption d'innocence n'est pas qu’une banale formalité juridique. En effet, il s’agit d’un principe fondamental en droit criminel, lequel impose à la poursuite le fardeau d’établir la preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable. Cette notion est essentielle dans la primauté du droit à un procès équitable. Ainsi, dans la mesure où la partie défenderesse soulève un doute raisonnable dans l’esprit du juge, elle sera déclarée non coupable.

Or, il importe de spécifier que Voynov ne fait présentement face à aucune accusation et qu’il doit comparaître le 1er décembre prochain devant un tribunal californien. N’oublions pas qu’une arrestation ne mènera pas forcément à une condamnation ou à des accusations contre Voynov.

Décision incompatible avec le dossier Varlamov, l’effet Ray Rice?

Incontestablement, l’AJLNH pourrait aussi faire valoir qu’il s’agit ici d’un traitement qui semble incompatible avec le dossier Semyon Varlamov. Effectivement, la LNH n'avait émis aucun commentaire l’an dernier lorsque Varlamov avait été arrêté pour agression. Le gardien russe avait continué à jouer et les accusations contre lui ont subséquemment été abandonnées. Or, le cas de Voynov survient peu de temps après que la NFL ait été fortement critiquée relativement au dossier Ray Rice. Les ligues professionnelles sont désormais plus consciencieuses et préventives face à ce fléau, et ce, par risque de représailles.

La vidéo de Rice publiée par TMZ en août dernier a changé le paysage sportif, mais a surtout changé la façon dont les gens réagissent face à la violence domestique. Le public a démontré une intolérance et un mépris absolu face aux écarts de conduite des athlètes depuis le scandale Rice. Par conséquent, la LNH pourrait faire valoir que laisser Voynov jouer ternirait sa réputation et porterait atteinte à ses intérêts. Un tel raisonnement se traduirait par une perte de commanditaires, une baisse des billets vendus et une diminution du nombre de partisans. Ainsi, la LNH a agi rapidement pour éviter les critiques du public. De telle sorte que cet argument vise expressément l'article 18-1.5, lequel est conçu pour protéger la réputation de la ligue. Mais s’agit-il d’une interprétation subjective dudit article? Possiblement oui, possiblement non. Certains pourraient croire qu’il s’agit d’une réaction excessive de la LNH face à la gestion controversée du dossier Rice par la NFL. N’aurait-il pas été plus judicieux pour la LNH d'avoir une compréhension plus complète de toutes les circonstances entourant le cas Voynov avant d’intervenir? Chose certaine, les écarts de conduite hors glace seront de moins en moins tolérés par la LNH.

Sans doute, il serait raisonnable de croire que les athlètes ont une responsabilité morale à l’endroit du public parce qu’ils servent non seulement de référence, mais aussi de modèle. Or, la LNH ne peut être blâmée pour les gestes de ses joueurs posés à l’extérieur de leurs fonctions de travail ou dans un but purement personnel. Certes, Voynov mérite la présomption d'innocence, mais sa prétendue victime mérite également que ses allégations soient prises au sérieux. Si jamais Voynov est acquitté, il pourrait potentiellement poursuivre la LNH fondée sur le fait que sa suspension immédiate a porté atteinte à sa réputation et en compensation des gains manqués. Cela dit, les faits doivent être examinés de manière concomitante avec les accusations, et ce, conformément aux liens existants entre eux. Bien entendu, la trame factuelle présentée dans les médias ne semble pas favorable pour Voynov, mais encore faut-il que ces allégations soient prouvées. Que les accusations soient fondées ou non, seule la preuve nous le dira.