La fin d’une année coïncide souvent avec une vague déferlante d’honneurs décernés à différentes personnalités s’étant illustrées lors de celle-ci. Je m’y jette également en proclamant que mon athlète de l’année est un Québécois ayant réalisé de véritables exploits sur la piste d’athlétisme du stade de Londres lors des championnats du monde d'athlétisme de juillet dernier. Imaginez, l'homme de 37 ans, originaire de Dorval, a gagné l’or aux épreuves de 100, 200 400 et 800 mètres, inscrivant au passage des records du monde lors de trois de ses courses et quatre records canadiens.

Cela vous a échappé? Vous ne vous souvenez pas d’un tel exploit?

C’est probablement parce que cet athlète est un para-athlète. Brent Lakatos est un véritable prodige qui a reçu le titre d’athlète par excellence en para-athlétisme lors du plus récent gala de la Fédération québécoise d’athlétisme (FQA). Les médailles londoniennes, il les a gagnées en fauteuil roulant dans la catégorie des T53 qui regroupe les athlètes n’ayant pas d’abdominaux. Lakatos a été victime d’un accident de patinage en jouant au hockey à l’âge de six ans. Une chute sur la glace ayant causé un caillot de sang avait entraîné la paralysie. Sa domination fut telle en 2017 qu’il a battu des records du monde chez les T54, des athlètes qui ont leurs ceintures abdominales et qui, dès lors, ont une plus grande force de poussée.

Pourquoi nous intéressons-nous si peu aux para-athlètes? Car soyons honnêtes, une fois les Jeux olympiques ou les championnats importants terminés, l’audience mondiale entame une chute libre à folle vitesse. Les Jeux paralympiques ne reçoivent pas du tout la même visibilité médiatique et les gradins des compétitions sont dégarnis. Les performances pourtant exceptionnelles des athlètes deviennent un entrefilet dans la  presse écrite ou une nouvelle qui défile en bas d’écran à la télé. La couverture en direct est rare et souvent à heure de faible écoute. Un peu comme s’il n’y avait plus rien après les Jeux et que les para-athlètes n’étaient que des sportifs de seconde classe.

Le défi de retenir l’attention

«Dès qu’on parle des para-athlètes, on s’adresse à un petit pourcentage de la population. À peine 15% des Canadiens ont un handicap. En général, les gens s’intéressent aux grandes performances, à celles qui dépassent l’entendement. Le sport handicapé ne relève pas du même acabit et ne semble pas accessible au commun des mortels qui comprend mal ce que ça signifie de performer malgré un handicap », mentionne Francis Ménard, nouveau directeur général de Parasports Québec.

Monsieur Ménard ajoute que les amateurs de sports ont plutôt le réflexe de croire que les para-athlètes font preuve de courage alors qu’il s’agit pourtant de performances aussi importantes que celles de professionnels. « La finale d’un 100 mètres en fauteuil roulant est l’équivalent d’un 100 mètres aux Jeux olympiques. C’est aussi une épreuve reine puisque ce sont les meilleurs  para-athlètes au monde.»

Le phénomène n’est pas unique au Québec ou au Canada. Un peu partout dans le monde, l’attention portée sur les parasports souffre d’un manque de visibilité. Francis Ménard s’est fixé comme mandat de faire changer les choses au Québec. Ne serait-ce que pour l’estime des personnes souffrant d’un handicap et qui ont besoin de modèles vers lesquels se tourner.

« Nous devons absolument trouver une façon de faire parler de nous à l’extérieur des grands événements. Cela pourrait passer par un jumelage et un parrainage entre athlètes professionnels et para-athlètes. Je suis conscient que tous les sports amateurs souffrent d’un manque de visibilité au Québec, mais nous, on passe vraiment en deuxième. Chantal Petitclerc est maintenant à la retraite. Nous devons donc essayer de trouver un autre porte-étendard du parasport québécois pour que les jeunes souffrant d’un handicap comprennent qu’ils doivent et peuvent bouger», ajoute le dirigeant de Parasports Québec. 

Des candidats de choix

Le Québec a connu de grands coureurs en fauteuils roulants. André Viger et Chantal Petitclerc, pour ne nommer que ceux-là.  Mais la fin de leur carrière a laissé un grand vide au Québec. Brent Lakatos pourrait devenir ce nouveau visage du para-athlétisme. Il demeure cependant en Grande-Bretagne où il s’entraîne à temps plein, ce qui n’aide pas.  

Diane Roy en compétitionDiane Roy, une des plus grandes vedettes internationales du Canada en course en fauteuil roulant semblerait être la candidate rêvée.  La Sherbrookoise, qui a été nommée athlète féminine de l’année en parasport lors du plus récent gala de la FQA est une quintuple paralympienne. En 2017, elle a terminé au septième rang du 5 000 mètres et au huitième rang du 800 mètres T54 aux championnats du monde à Londres. Elle est toutefois plus réservée que Chantal Petitclerc et demeure encore malheureusement peu connue de la part du grand public.

Guillaume Ouellet, un coureur ayant une déficience visuelle, pourrait également devenir le visage sportif des Québécois en situation de handicap.  Le coureur de 31 ans, dont la vision est suffisante pour qu’il coure sans guide, a gagné une formidable médaille de bronze au 5 000 mètres du championnat mondial de para-athlétisme de Londres, établissant au passage un record des Amériques (14 :23.24).

« Au risque de me répéter, les jeunes Québécois aux prises avec un handicap bougent moins que les jeunes normaux. Ils vivent beaucoup plus l’exclusion et sont isolés dans la vie de tous les jours. Ils ont besoin d’une plus grande stimulation pour être amené vers le sport, mais ce n’est pas facile à faire s’il n’y a personne à qui s’identifier. Les médias pourraient nous donner un bon coup de main en parlant de nos athlètes», conclut monsieur Ménard.

L’attention médiatique est en effet importante puisque la visibilité accordée à ces athlètes leur permet de signer des ententes de commandites. C’est le nerf de la guerre.  Parasports Québec bénéficie des mêmes programmes de subventions ministériels et est reconnu comme une fédération sportive au même titre que les autres au Québec et au Canada. Toutefois, l’adhésion demeure encore peu élevée puisqu’on s’adresse à une petite portion de la population.

Lorsqu’un athlète est identifié comme faisant partie de la relève, il est pris en charge par l’institut national du sport ce qui lui permet d’avoir accès à divers spécialistes. Mais cela ne lui donne pas plus d’argent pour acheter son matériel. Les chaises hautes performances de carbone qu’utilisent Diane Roy et Brent Lakatos coûtent plusieurs milliers de dollars.

Lakatos est donc mon athlète québécois de l’année. Sa domination fut sans partage et mérite qu’on en parle. Il est à souhaiter que 2018 nous permette à tous de porter une attention particulière à ces sportifs, nombreux, qui souffrent d’un handicap, mais qui refusent de se laisser arrêter par cela. Il est bien d’admirer le morceau de bravoure dont ils font preuve. Mais le plus grand service à leur rendre, c’est de simplement apprécier leurs prouesses, comme on le fait déjà pour tous les athlètes normaux.