MONTRÉAL – Comme n’importe quel entraîneur en temps de pandémie, Benoît Groulx doit vivre avec les altérations qui ont dû être apportées à son milieu de travail.

Dans le local qui lui sert de quartier général au Upstate Medical University Arena, son bureau et celui de ses adjoints ont été séparés afin de respecter les règles de distanciation. La pièce dans laquelle il organise habituellement les rencontres d’équipe a été condamnée. Quatre moniteurs ont plutôt été branchés dans une salle adjacente au vestiaire, assez grande pour accueillir tous les joueurs de façon sécuritaire. Les séances vidéos individuelles se font de façon virtuelle, chacun en face de son ordinateur ou de sa tablette. Pour ce qui est du flânage à l’aréna, oubliez ça : le Crunch de Syracuse n’offre plus les repas ni avant, ni après ses entraînements.

Groulx, malgré toute la joie que lui procure le retour au boulot, doit aussi composer avec des petits irritants derrière le banc. Samedi, son équipe s’est officiellement lancée dans la saison écourtée de la Ligue américaine en disputant un premier match en plus de 300 jours. Elle l’a gagné 6-1, mais le coach est le premier à admettre que ce n’était pas une œuvre d’art.

« Il y a eu tellement de surnombres qu’à un moment donné, tu te dis : ‘Ça va finir combien?’. On a été chanceux parce que Samuel Montembeault a probablement été notre meilleur joueur. Il a fait des arrêts miraculeux, particulièrement en deuxième période. »

Dans cette citation se trouve un indice d’un autre grand changement auquel Groulx doit s’adapter. L’homme de 53 ans en est à sa cinquième saison à la tête du club-école du Lightning de Tampa Bay. Pourtant, les plus perspicaces auront noté que Montembeault est un espoir des Panthers de la Floride.

L’explication est simple. Lorsque les Checkers de Charlotte ont décidé, pour des raisons financières, de faire l’impasse sur la saison 2021 de la Ligue américaine, l’organisation des Panthers a dû trouver un domicile temporaire pour héberger sa relève. Un beau jour, Groulx a reçu un appel d’un patron qui lui annonçait qu’il aurait bientôt une dizaine de nouveaux joueurs sous sa responsabilité.

C’est bien ça : le responsable de la principale filière de développement des champions en titre de la coupe Stanley doit maintenant se soucier des joueurs d’avenir d’une organisation rivale. Le Crunch est l’une des trois organisations de la LAH à s’offrir ainsi en bonne Samaritaine en cette période de crise. Les Comets d’Utica (Vancouver) ont rendu le service aux Thunderbirds de Springfield (Blues) et les Wolves de Chicago (Caroline) ont fait de même avec les Admirals de Milwaukee (Nashville).

Sur papier, les sources potentielles d’accrochage sont nombreuses. Il n’est pas difficile d’imaginer un vétéran bouder parce qu’un petit nouveau lui bloque l’accès au premier trio ou encore un joueur prêté se sentir négligé par des entraîneurs qui ont d’autres chats à fouetter.

« On a juste joué une partie, on n’est pas rendu là encore! », répond Groulx en riant lorsque soumis à ces hypothétiques scénarios. Mais plus sérieusement, l’entraîneur d’expérience se dit ravi de la réponse qu’il a obtenu des joueurs des deux clans depuis l’ouverture du camp d’entraînement.

« J’ai pris la décision de garder le même capitaine et les mêmes assistants qu’on avait l’année passée, soit Luke Witkowski, Daniel Walcott et Ross Colton. Ce sont trois gars qui me connaissent très bien, qui connaissent les attentes des entraîneurs au quotidien et avec qui on a développé une belle relation. Ils savent exactement ce qu’on attend d’eux en tant que leaders et je pense que leur façon d’agir est contagieuse. Ils font les choses de manière exceptionnelle depuis le début du camp et je pense que quand tes meilleurs joueurs donnent l’exemple, les autres ont tendance à suivre. C’est sûr que c’est un ajustement pour les gars de la Floride, mais le hockey a évolué, les coaches ont évolué aussi. Je pense qu’on a une belle communication avec tout le monde et les choses sont claires. »

Un laboratoire de développement

Groulx a offert une preuve de sa bonne foi dès le premier match de la saison. Outre Montembeault, trois joueurs affiliés aux Panthers, dont le choix de première ronde au repêchage de 2018 Grigori Denisenko, ont été inscrits sur sa formation de départ.

« Les jeunes qu’on a reçus de la Floride, c’est des maudit bon gars. Je passe le même de temps avec eux qu’avec nos gars. Ce matin, on a eu des meetings avec Riley Stillman et Chase Priskie. On voulait savoir ce qu’ils pensaient de leur match, mais on voulait les amener à comprendre la philosophie de notre équipe, comment on veut jouer, etc. Pour moi, on forme une équipe et je traite tout le monde comme s’ils faisaient partie du Lightning. »

Prêchant par l’exemple, Groulx a ouvert la porte de ses installations à ses confrères pour qu’ils puissent continuer de travailler avec leurs poulains. Geordie Kinnear, l’entraîneur-chef des Checkers, a récemment passé trois semaines à Syracuse en compagnie de l’entraîneur des gardiens Leo Luongo. Les deux hommes sont de nouveau attendus dans l’État de New York à la fin du mois. Mike Ryan, le responsable du développement des joueurs des Panthers, viendra aussi faire son tour de temps en temps.

« On a notre coach d’habiletés et notre coach de power skating qui sont ici trois semaines sur quatre. On fait des entraînements des fois, on est huit entraîneurs sur la glace. C’est un bon ratio! Les joueurs ne manqueront certainement pas d’encouragement et d’enseignement », se félicite l’ancien visage des Olympiques de Gatineau.

La suspension des activités de deux des trois circuits juniors canadiens ainsi que d’une partie des clubs de la ECHL provoque aussi un surplus de joueurs à Syracuse. Ils ont été 14 à être laissés de côté pour le match inaugural. Certains d’entre eux réintègreront éventuellement la formation, mais la plupart, Groulx ne se gêne pas pour le dire, sont là pour apprendre. Et tout est en place pour que l’opération soit un succès, croit-il.

« Ils ont fait un camp de deux semaines avec nous et là ils ont la chance de nous regarder pratiquer, de nous regarder jouer. Ils sont dans le gym et ils sont sur la glace deux fois par jour. Si leur saison reprend, je pense qu’ils seront vraiment de meilleurs joueurs de hockey parce qu’on travaille non seulement sur leurs habiletés, mais sur les angles d’approche, la protection de la rondelle, les tactiques numériques. »

« C’est un peu une espèce de laboratoire, compare Groulx, pour leur donner le plus d’enseignement possible. Parce qu’un jour, ces gars-là, il y en a certains qui vont passer par le Crunch en chemin vers le Lightning. »

Ou vers les Panthers. On ne sait jamais.