MONTRÉAL – Gabriel Antinoro a eu besoin de quelques années pour comprendre les véritables motifs qui avaient incité ses parents à quitter leur Brésil natal pour installer leur famille au Québec.

Pour le jeune adolescent qu’il était à l’époque, la décision était dépourvue de toute logique. D’une part, il ne voyait pas de problème avec sa vie à Brasilia, la capitale. Ce n’est que plus tard qu’on lui a expliqué que son pays devenait de plus en plus dangereux et qu’un avenir plus prometteur pouvait l’attendre au-delà de ses frontières.

Mais surtout, un gros point jouait en défaveur de ce nouveau départ, un préjugé qu’il lui est vite devenu important de débâtir pour rendre le dépaysement tolérable.

« Je croyais qu’il n’y avait pas de soccer à Montréal », se rappelle Antinoro, l’un des trois joueurs de l’Académie du CF Montréal qui ont été invités au camp d’entraînement de la première équipe cette année.

« Pendant nos trois premiers mois ici, je n’ai pas joué du tout. Puis un jour, je suis allé voir mon père et je lui ai dit : "Je ne suis plus capable. Il faut trouver quelque chose, il faut que je joue." Je ne parlais ni l’anglais, ni le français à l’époque. Le soccer était ma seule façon de communiquer, de m’exprimer. »

Antinoro raconte que son père Bruno a envoyé un courriel « à toutes les équipes de soccer de Montréal » et n’a reçu qu’une réponse, celle de l’Association régionale du Lac St-Louis, qui l’a invité à un entraînement.  

« Je me souviens de mon premier ou deuxième jour là-bas. Mon père et moi, on ne connaissait rien au réseau d’autobus de la ville. On a fait 40 minutes dans un sens avant de réaliser qu’on s’en allait dans la mauvaise direction! Alors on est sortis et on s’est tapé une heure et demie de plus avant de finalement arriver en retard. »

Rapidement, par contre, les planètes se sont alignées pour le jeune sportif. Le hasard a voulu que pendant l’un de ses premiers entraînements, Antinoro tombe dans l’œil de Patrick Leduc.

« J’étais à la bonne place au bon moment, confirme Leduc qui, cette journée-là, avait conduit jusque dans l’ouest de l’île pour accompagner son propre fils. Je connaissais les dirigeants là-bas, on s’est croisés, ils m’ont dit : "Ah, il y a un nouveau aujourd’hui". Assez vite, j’ai été intrigué. »

Dans l’heure, Leduc s’est retrouvé au téléphone avec Bruno Antinoro afin d'essayer d’attirer son fils vers l’équipe dont il était l’entraîneur au CS Mont-Royal Outremont.

« On était dans la saison de futsal, donc à l’intérieur, en gymnase, poursuit l’ancien joueur de l’Impact avant d’éclater de rire. Écoute, comme on dit, c’était un no brainer. Dès qu’il a commencé à jouer, tous les jeunes venaient me voir pour me demander : "Est-ce qu’il va faire partie de notre équipe, ce gars-là?" »

« Il était bien en avance sur les autres, un très bon dribbleur. Il a joué avec les Griffons pendant une saison. Je pense qu’il a marqué contre toutes les équipes qu’on a affrontées. » L’année suivante, Antinoro s’est joint à l’équipe U14 de l’Académie de l’Impact.

Un caractère à contrôler

Le ballon rond a été le lubrifiant social que le jeune Brésilien recherchait. Avant même qu’il sache trouver les mots pour tisser des liens avec ses nouveaux coéquipiers, son talent avait abattu toute barrière linguistique qui aurait pu diviser son nouvel environnement.

« Sa capacité d’adaptation, je pense que ça a renforcé son caractère, c’est clair, croit Leduc. Il était très apprécié de ses coéquipiers, oui parce qu’il est vraiment très bon, mais pas seulement ça. Il a un caractère très, très compétitif. »

« Parfois, les émotions prenaient le dessus. On lui en a souvent parlé, mais j’ai bien compris qu’à la base, c’est un jeune qui veut vraiment gagner et que ses sautes d’humeur ou les fautes qu’il commettait, c’était parce qu’il s’en voulait de ne pas en faire plus pour son équipe. Il se mettait de la pression sur les épaules alors si on ne gagnait pas, il devenait négatif ou plus agressif. Disons qu’il était une coche au-dessus des autres en termes d’agressivité! C’est un gars qu’il fallait contrôler, tempérer. »

Aujourd’hui âgé de 17 ans, celui qui a grandi en admirant Kaká est un ailier résolument offensif, un droitier qui préfère jouer à gauche et dont la principale caractéristique est la rapidité. « Avec ou sans le ballon, précise Leduc. Il est capable de faire une conduite de balle sur de bonnes distances à très haute vitesse. C’est une des façons dont il arrive à déséquilibrer l’adversaire. C’est un joueur qui a une bonne percussion, une bonne capacité de dribble. »

Dix joueurs formés au club occupent présentement une place au sein de la première équipe du CF Montréal. Quatre d’entre eux – Jean-Aniel Assi, Sean Rea, Nathan Saliba et Rida Zouhir – y ont accédé simultanément en décembre 2020. Aucun n’était alors âgé de plus de 18 ans. Quelles sont les chances de Gabriel Antinoro de suivre le même parcours?

« Je te confirme qu’il a un potentiel, répond Patrick Leduc, qui est aujourd’hui le directeur de l’Académie du CF Montréal. Mais ça dépend de lui en bonne partie. À quelle vitesse sera-t-il capable de s’adapter à des défenseurs plus rapides, plus costauds? Ce sera un de ses défis. On le sait très rapide, mais est-ce qu’il est capable d’encaisser des chocs, de résister et de protéger son ballon ou est-ce qu’il se fait bousculer et perd sa vitesse? »

« Il va jouer avec notre équipe U23 cette année. On va le tester et on verra de quelle manière il répondra. »