Ne manquez pas « Sylvie Fréchette : En Synchro avec la vie » sur les ondes de RDS, mercredi à 23 h.

Je ne me souviens pas de l’endroit, ni pour quel événement, mais j’étais à l’extérieur de Montréal et surveillais sur l’écran de télé de la chambre d’hôtel que j’occupais, le passage de Sylvie Fréchette en finale de l’épreuve solo de nage synchronisée des Jeux de Barcelone. J’avais les mains moites et le cœur dans la gorge. J’étais tendue devant le poste de télé, assise sur le bout du lit, les doigts croisés. Mais je savais aussi que les dés étaient pratiquement jetés. Sylvie avait été impeccable, mais pour remporter l’or, il aurait fallu que sa rivale, l’Américaine Kristen Babb-Sprague, soit victime d’une crampe et coule à pic, obligeant les sauveteurs à aller la rescaper. Et encore.

Sylvie avait fait les frais d’une grande injustice lors du programme technique, injustice qui lui donnait un retard pratiquement insurmontable. La juge brésilienne avait appuyé sur le mauvais bouton, et le 8,7 plutôt que 9,7 faisait toute la différence du monde. On s’en souviendra. Malgré le fait que la juge ait reconnu son erreur sur-le-champ, l’arbitre en chef avait refusé de modifier la note qui avait été affichée.

Julie Sauvé, l’entraîneure de Sylvie, avait présenté un protêt à la juge en chef, une Américaine, qui avait lancé la feuille dans les airs, montrant ainsi toute l’importance qu’elle accordait à la démarche. Julie allait se rendre en appel, mais il fallait quand même que Sylvie nage la finale, avec tout son cœur, avec tout son talent. Et j’étais là, désespérée devant la télé, frustrée de voir une injustice aussi flagrante être commise à la face du monde. Je me souviens de la remise des médailles et d’avoir rêvé, dans un moment d’égarement, que Babb-Sprague lève le bras de Sylvie Fréchette au moment de monter sur le podium. Cela ne s’est pas fait bien sûr. Et Sylvie avait été très digne dans l’adversité. Elle avait félicité la médaillée d’or, posé avec sa médaille d’argent aux côtés des sœurs Vilagos, elles aussi médaillées d’argent (derrière les Américaines Stephenson), et réussi à garder le sourire.

Je me souviens d’avoir pris très à cœur ce qui arrivait à Sylvie ce jour-là. Elle avait eu sa part de drames au cours des mois précédents, et ne méritait pas ce qui lui arrivait. Déjà que la perte de son grand-père et surtout le décès tragique de son amoureux, à quelques jours du départ pour Barcelone, l’avaient sérieusement bouleversée. Elle ne devait son fragile équilibre qu’à la présence rassurante à ses côtés, de son amie, entraîneure et mentore Julie Sauvé. Si l’appel, après une discussion d’une heure et demie où aucun témoignage n’avait été pris en compte, n’a rien donné à ce moment, l’injustice allait être réparée16 mois plus tard. Dick Pound, alors vice-président du CIO, a fait pression pour que sa médaille d’or, méritée, lui soit rendue. La Fédération internationale de natation a accepté et le CIO lui a emboîté le pas.

Sylvie Fréchette a donc reçu sa médaille d’or le 6 décembre 1993 devant 2 000 personnes au Forum de Montréal. Elle a été acclamée, applaudie, célébrée, mais il reste qu’on lui a volé son moment olympique. Malgré tout, jamais elle n’aura fait preuve d’amertume, et sera toujours restée noble et chevaleresque dans les circonstances. C’est là la marque d’une grande âme.

La petite fille qui avait été éblouie par l’équipe des « Costumes de bain noirs », lors d’un spectacle de nage synchronisée au bain Rosemont, en a à son tour ébloui des milliers au cours de sa carrière. Par sa prestance, par ses performances, par son attitude. Elle a eu la chance d’avoir à ses côtés une femme qui a su tirer le meilleur d’elle, Julie Sauvé, tout comme Julie a eu la chance d’entraîner une athlète exceptionnelle. Leur complicité qui frôlait la fusion, était unique, tous sports confondus. Sylvie savait qu’elle pouvait gagner avec elle, Julie savait qu’elle avait ce qu’il fallait pour gagner.

Aujourd’hui les performances et les compétitions sont derrière Sylvie, mais sa vie continue d’aller de l’avant. Après une carrière brillante au Cirque du soleil, elle est maintenant une conférencière recherchée et son récit continue d’en inspirer plus d’un. On dit que pour qu’il y ait un héros, il faut qu’il y ait une chute. L’histoire d’une femme authentique, honnête, dynamique, déterminée qui a choisi de rester debout malgré les épreuves, sera toujours d’actualité.

Je n’étais pas au Forum quand Sylvie a reçu sa médaille. Je l’ai vue la recevoir à la télé, j’ai vu son merveilleux sourire l’illuminer tout entière quand Dick Pound lui a passé la médaille au tour du cou. Et cette fois-là, ce n’était pas mes mains qui étaient humides, mais mes yeux…