MONTRÉAL - Les athlètes canadiens vivent des sentiments ambivalents au lendemain de la décision de leurs Comités olympique et paralympique de ne pas envoyer d'équipes aux Jeux de Tokyo s'ils se tiennent comme prévu en juillet en raison des risques liés à la COVID-19.

S'ils reconnaissent à l'unisson qu'il s'agit de la meilleure décision qui soit à la lumière de la situation mondiale de pandémie, ils sont également déçus comme athlètes d'être privés de la plus célèbre tribune sportive, du moins pour l'instant.

La nageuse Jacqueline Simoneau avoue avoir été sous le choc quand elle a appris la position du COC d'un message de la chef de mission de la délégation canadienne, Marnie McBean, dimanche.

« J'étais déchirée en pensant à tout le travail que j'ai investi depuis les derniers Jeux de Rio, a répondu honnêtement Simoneau. Puis en continuant de lire son message, j'ai compris que c'était plus gros que nous, les athlètes, que c'était une affaire de santé publique. »

Et même si les dernières informations laissent supposer que le CIO est en train de travailler aux détails d'un report des Jeux, Simoneau est catégorique: elle demeurerait solidaire de la décision du COC même si l'événement devait être présenté en juillet sans la présence du Canada.

« Le Canada veut être un leader et donner l'exemple en mettant la santé publique devant tout le reste. Alors je suis vraiment reconnaissante. »

L'haltérophile Kristel Ngarlem s'est dit étonnée de la rapidité avec laquelle le Canada a pris sa position, devenant le premier pays à agir de la sorte. Il a depuis été imité par l'Australie et des voix se font de plus en plus pressantes pour inciter le CIO et le Japon à remettre l'événement à l'an prochain.

« J'ai été prise par surprise dimanche quand j'ai pris connaissance de la nouvelle en même temps que la publication du communiqué du COC, a confié l'athlète de 24 ans. Comme le CIO avait dit se donner quelques semaines pour prendre une décision sur un possible report, mon choix aurait été d'attendre encore un peu. Mais je comprends aussi la décision. »

Ngarlem est également déçue que les athlètes n'ont été ni consultés, ni même informés au préalable alors qu'ils sont les principaux concernés.

La kayakiste en eau vive Florence Maheu, qui avait déjà son billet pour Tokyo, estime pour sa part que la position du Canada se veut le meilleur scénario pour permettre aux athlètes de se présenter aux Jeux au meilleur de leur forme.

« C'est certain que nous nous entraînons depuis quatre ans en sachant que les Jeux seront présentés à l'été 2020, et non pas à l'automne ou en 2021, a confié Maheu, de Salaberry-de-Valleyfield. C'est une source de déception et d'incertitude. »

« En même temps, tout le monde veut participer aux Jeux de façon sécuritaire. Le Canada a pris une position forte dans l'espoir d'amorcer un mouvement et de mettre de la pression sur le CIO pour reporter les Jeux. Et cette décision met un peu moins de pression sur les athlètes pour trouver une façon de continuer à s'entraîner. »

Perspective

La vétérane plongeuse Meaghan Benfeito, qui a déjà pris part aux Jeux de Pékin, Londres et Rio de Janeiro, tient à remettre pour sa part les choses en perspective.

« Sur le coup, c'est décevant. Nous mettons tellement d'efforts à l'entraînement pour le rendez-vous olympique. Mais quand on y réfléchit bien, c'est la santé du monde entier qui est impliquée. Les Jeux peuvent toujours être remis. »

La triple médaillée olympique, qui s'entraîne avec des moyens de fortune chez elle, ajoute être également soulagée, non seulement pour sa santé personnelle mais aussi pour celle de son entourage.

« Tu ne veux pas attraper le virus et risquer de le transmettre à tes proches. Je veux qu'ils restent en santé. »

Décision courageuse

L'ex-bosseur et olympien Dominick Gauthier, à l'origine la semaine dernière d'une initiative visant à mettre de la pression sur le CIO pour le forcer à modifier ses plans, salue le courage démontré par le Comité olympique canadien

« Je m'attendais à ce qu'il y ait une annonce sous peu, mais jamais je ne m'attendais à ce qu'elle soit si forte, si courageuse. Je pensais qu'on allait simplement mettre de la pression sur le CIO pour qu'il repousse les Jeux. Mais là, on est allé une coche au-dessus et je dis bravo à l'équipe de leadership. »

« Ce n'est pas une décision facile, mais c'était la bonne. Ce matin, même ceux qui n'étaient pas en faveur d'une telle décision se rendent compte que le COC est et sera un leader mondial. »

Gauthier souligne au passage que le Canada n'a jamais eu peur de jouer un rôle de leader, même sur des questions délicates.

« Regardez pour ce qui est de la lutte contre le dopage. Nous sommes les premiers à parler haut et fort. Ça démontre qu'au Canada, nous n'avons pas peur de parler, même quand nous ne sommes pas d'accord avec les autres. »

L'entraîneur de boxe Stephan Larouche abonde dans le même sens.

« La décision (du COC) est digne d'une grande organisation et elle fera sûrement boule de neige. C'est malheureux par contre pour certains athlètes qui ne préparent pas cette participation aux JO depuis quatre ans, mais bien depuis 12 ans. Quelques-uns ont raté de peu leur qualification lors de Jeux précédents et c'était leur dernière chance d'y aller. »

Commentaires d'autres athlètes recueillis par Sportcom

Jacqueline Simoneau, membre de l’équipe canadienne de natation artistique, olympienne aux Jeux de Rio et déjà qualifiée pour Tokyo.

« Honnêtement, j’étais très, très choquée et déchirée, comme tous les autres athlètes à travers le Canada. Le COC (Comité olympique canadien) a sûrement pris beaucoup de temps à réfléchir avant de prendre cette décision. Je perds mes mots en ce moment. Nous sommes tous déchirés, car nous nous sommes entraînés toute notre vie pour ce moment-là, mais dans la situation actuelle, c’est juste plus gros que nous. »

Simoneau et ses coéquipières ont leur nouveau mantra : les temps difficiles passent, mais les équipes soudées durent. « J’ai confiance dans notre équipe à 100 %, peu importe ce qui arrive, et nous allons en sortir plus fortes qu’avant », conclut celle qui continuera à s’entraîner de façon quotidienne comme elle le fait, même si elle n’a pas accès aux bassins aquatiques de l’INS Québec, au cas où les Jeux seraient reportés.

« Le Canada est le premier à prendre cette décision, ce qui fait de nous des leaders. Le Canada veut être un leader mondial pour combattre ce virus et nous donnons l’exemple. Je reçois plein de messages de soutien, pas juste de gens du Canada, mais de partout dans le monde, alors je suis vraiment reconnaissante! »

Brent Lakatos, athlétisme en fauteuil roulant, multiple médaillé aux Jeux paralympiques et aux Championnats du monde, pas encore qualifié pour Tokyo.

« La santé va bien, mais je suis déçu, mais ce n’est pas une grande surprise. Le CIO s’est donné encore trois semaines pour prendre une décision. Je ne sais pas pourquoi ils (le Comité olympique canadien le Comité paralympique canadien) ont pris leur décision maintenant, mais je ne crois pas que les Jeux auront lieu cet été », explique celui qui est basé à Loughborough, au nord-ouest de Londres, où il n’a pas accès à une piste pour s’entraîner.

La semaine dernière, le double médaillé d’or des récents mondiaux avait twitté que ce n’était pas le temps de prendre des décisions drastiques. « Il y a cinq jours, il y avait peut-être 50 cas au Canada et là, c’est plus de 1000. Ça change rapidement, mais je ne sais pas où nous en serons en mai et en juin. Peut-être que ce sera fini, peut-être pas. Je suis déçu de la situation, pas de la décision. Je suis surpris qu’ils aient pris cette décision maintenant avant que celle du CIO soit prise. C’est juste un peu tôt selon moi, mais c’est la bonne décision avec tout ce qui arrive. La moins pire des décisions serait de présenter les Jeux l’an prochain, pas en 2022 », de conclure l’athlète de 39 ans qui ne compte pas annoncer sa retraite avant Tokyo.

Florence Maheu, canoë-kayak d’eau vive, déjà qualifiée pour Tokyo.

La kayakiste en eau vive Florence Maheu estime qu’il s’agit d’une bonne décision et espère que le CIO choisira de reporter les Jeux par souci d’équité. Cette semaine, elle devait être aux Championnats panaméricains au Brésil, une étape importante du processus de sélection olympique.

« Avoir une qualification équitable, c’est une des plus grandes priorités pour avoir aux Jeux tout le monde qui mérite d’y être, a-t-elle affirmé. J’espère que le CIO prendra la bonne décision et que ce soit repoussé pour que ce soit équitable pour tout le monde. En ce moment, ce ne sont pas tous les athlètes qui peuvent s’entraîner à pleine capacité. La situation n’est pas la même dans tous les pays et on ne sait pas comment ça va évoluer. »

Joëlle Békhazi, membre de l’équipe canadienne de water-polo, déjà qualifiée pour Tokyo.

Après plus de 16 années passées avec la formation canadienne féminine de water-polo, Joëlle Békhazi était à quelques mois de finalement réaliser son rêve ultime de participer aux Jeux olympiques. Même si des sentiments mitigés l’habitent, elle soutient entièrement la décision du COC.

« Mon cœur est brisé, mais je suis vraiment fière de la décision du COC. Participer aux Jeux olympiques a toujours été mon rêve, mais présentement, il y a des choses plus importantes que ça. »

Dans l’éventualité d’un report, la Montréalaise persiste et signe : elle sera prête à représenter le pays. « Je vais y aller all the way ! Je travaille pour ça depuis plus de 16 ans et c’est sûr que je vais continuer. Je vais travailler fort pour être prête mentalement et physiquement. »

Guillaume Ouellet, athlète en para-athlétisme, paralympien aux Jeux de Rio, pas encore qualifié pour Tokyo.

Guillaume Ouellet est l’un des nombreux para-athlètes québécois qui souhaitaient profiter de l’arrivée du printemps pour officialiser sa participation aux Jeux paralympiques de Tokyo. C’est toutefois sans surprise qu’il a appris la décision du comité paralympique canadien.

« C’était assez évident pour moi et je salue entièrement la décision prise. Beaucoup de gens parlent de la sécurité des athlètes, mais c’est plus que ça. Il faut penser à la sécurité de tous et dans cette situation, le sport devient secondaire », a indiqué Ouellet, qui avoue que les dernières semaines ont été plus stressantes qu’à l’habitude.

« C’était quand même une période de stress de devoir continuer à s’entraîner dans l’incertitude. C’est assez inquiétant pour tout le monde et ce n’est pas plaisant pour personne. C’est une situation exceptionnelle et il faut prendre des décisions exceptionnelles. Maintenant, j’espère que plusieurs autres pays emboîtent le pas pour que la pression monte et que le report devienne inévitable. »

Alison Levine, joueuse de boccia aux Jeux de Rio, qualifiée pour Tokyo

Alison Levine est actuellement au sommet du classement mondial (hommes et femmes confondus) chez les BC4. Assurée de sa place à Tokyo en raison de son rang mondial, la Montréalaise comptait aussi s’élancer à Tokyo cet été aux côtés de ses coéquipiers Marco Dispaltro et Iulian Ciobanu, avec qui elle a raflé l’or à l’Open mondial de Povoa, au Portugal en novembre dernier.

« La santé et la sécurité passent avant tout. Il est impossible d’aller de l’avant avec les Jeux lorsque tant de vies sont en péril et que l’organisation de ceux-ci représente un danger. Mais les Jeux n’ont pas été annulés. La vie n’a pas été annulée et éventuellement, elle reviendra à la normale. Il y aura d’autres compétitions, d’autres occasions de rendre notre pays fier. Je suis une athlète paralympique, je sais être résiliente. Je sais que la vie est plus importante que le sport, mais c’est tout de même difficile. Je salue le COC et le CPC de se tenir debout pour ce qui est juste et pour avoir nos meilleurs intérêts à cœur. J’espère être à Tokyo en 2021, sinon ce sera Paris en 2024. »

René Cournoyer, gymnastique artistique, déjà qualifié pour Tokyo

René Cournoyer est parvenu à se qualifier au concours complet des Jeux olympiques de Tokyo lors des derniers Championnats du monde présentés à Stuttgart, en Allemagne. Pour le moment, il était le seul gymnaste québécois à avoir obtenu officiellement sa place aux Jeux, les premiers de sa carrière.

« Cette nouvelle était malheureusement attendue, mais le choc n'en est pas moindre », a réagi Cournoyer pour ce qui est de l’annonce du Canada de ne pas envoyer ses athlètes au Japon en juillet. « Je soutiens la décision du COC puisque ses intentions sont de protéger les athlètes et d'assurer le bon déroulement de ce splendide évènement. Ce fut une surprise, mais aussi une belle démonstration de leadership de la part de la commission des athlètes et des dirigeants du COC », a-t-il ajouté.

En ce qui le concerne sa préparation pour son baptême olympique, le Québécois s’est équipé de petites barres et de poids, en plus de rester en contact avec mon entraîneur afin de suivre un plan d'entraînement adéquat.

« Tout ce que je peux faire, c'est de rester optimiste et de poursuivre l'entraînement au meilleur de mes capacités à la maison et d’inspirer les gens à faire de même. »

Maximilien Van Haaster, membre de l'équipe canadienne en escrime, Olympien aux Jeux de Rio et déjà qualifié pour Tokyo.

« J'aurais aimé que le Canada attende de voir la décision que le CIO allait prendre. J’étais surpris et je ne m’attendais pas à ça. »

Si Van Haaster s’est dit « triste que nous soyons rendus à ce point », il voit mal comment les Jeux de Tokyo pourraient bel et bien avoir lieu en juillet. Le Montréalais demeure néanmoins inquiet de rater l’événement si aucun changement n’est annoncé par le Comité international olympique, lui qui visait une deuxième participation aux Jeux après avoir pris part à ceux de Rio, en 2016.

« On passe notre vie à s'entraîner pour ce moment et on ne veut pas manquer cette opportunité. J'espère que d'autres pays vont prendre la même décision et vont forcer le CIO à changer les dates des JO. Je crois que le fait de déplacer la date des JO est la meilleure solution pour les athlètes, les entraîneurs, les bénévoles et les spectateurs. Si plusieurs pays suivent le Canada, je pense que le CIO sera obligé de déplacer les Jeux »

Lire le texte complet sur les réactions de Maximilien Van Haaster.

Linda Morais, lutte (-57 kg), championne du monde en titre chez les moins de 59 kg, pas encore qualifiée pour Tokyo.

Après avoir perdu en demi-finale au tournoi de qualification olympique panaméricain à Ottawa, la lutteuse Linda Morais se préparait pour le tournoi de la dernière chance prévu en Bulgarie, au mois de juin. Une compétition qui devait d’abord avoir lieu en avril, mais qui a été reportée en raison de la pandémie.

« C’est triste, mais pour l’instant, il faut vraiment penser à la santé de tout le monde, pas seulement à celle des athlètes. C’est bien plus gros que le sport et je pense que c’est une bonne décision de reporter les Jeux », a-t-elle mentionné.

La Montréalaise d’adoption est présentement à Windsor, en Ontario, avec sa famille et s’entraîne de la maison en mettant l’accent sur son conditionnement physique. « J’ai un tapis de yoga et des poids. J’ai fait un entraînement avec des amies à distance et il y en a une qui utilisait un sac de patates! Ce n’est pas comme un gym, mais on fait ce qu’on peut! » a raconté Morais en riant.

La lutteuse a profité d’une semaine de repos après la compétition à Ottawa et compte bien attendre quelques jours avant de retourner à Montréal pour s’entraîner aux côtés de son entraîneur, David Zilberman.

« Ça ne vaut pas la peine de stresser, parce qu’il n’y a rien que je peux faire. Toutes les décisions sont hors de mon contrôle. Je peux simplement m’assurer d’être prête pour aller lutter et me concentrer sur ça. »