Avant même de jouer son premier match en Coupe du monde, l’Islande a déjà réussi un exploit : celui d’être la plus petite nation de l’histoire à se qualifier pour le grand rendez-vous mondial, avec ses 348 450 habitants. Le précédent record appartenait à Trinidad et Tobago avec une population de 1,3 million, quatre fois plus que celle de l’Islande. Si cette première qualification arrive après douze tentatives infructueuses, ce n’est pas l’effet du hasard. L’Islande a décidé de se donner les moyens de ses ambitions.

Le football étant le sport le plus populaire au pays, un plan de développement audacieux a été mis sur place en 1996. On a investi sur les structures, le personnel d’encadrement et l’accessibilité au sport. Sur le seul tronçon de 50 km entre l’aéroport de Keyflavik et la capitale Reykjavik, on compte aujourd’hui quatre stades, des terrains synthétiques, de multiples « city stades », ces terrains multisports en libre accès, entourés d’une enceinte. Dans le pays, on compte 7 stades outre 7 grandes halles intérieures, 148 terrains naturels et 24 artificiels et une pléiade de stades de clubs couverts. 

Avant, on ne jouait au foot que l’été. Maintenant, malgré un hiver long et rigoureux, on y joue à l’année. Mais on n’a pas investi que dans l’immobilier : en Islande, pas d’entraîneurs bénévoles. Ce ne sont pas papa, maman ou le voisin qui entraînent les jeunes joueurs, mais bien des entraîneurs certifiés, ayant au minimum une licence B de l’EUFA, et ce, dès les premières catégories à 5 ou 6 ans.

L’effet de ces mesures s’est rapidement fait ressentir au cours des deux dernières décennies. Il y a 20 ans, tous les joueurs de la sélection nationale étaient des amateurs, aujourd’hui les internationaux islandais sont tous des professionnels jouant dans différents championnats européens, aucun n’évoluant en première division islandaise. Le championnat islandais compte 12 équipes, certaines semi-professionnelles, et le calendrier va d’avril à la mi-octobre. L’hiver, tout marche au ralenti. Mais même ce championnat islandais bénéficie de l’amélioration du football islandais. De plus en plus d’étrangers s’y intéressent.

Lars Lagerbäck

L’autre facteur de la transformation de l’Islande au cours des dernières années fut l’arrivée en 2011 de Lars Lagerbäck, le sélectionneur suédois qui avait qualifié son pays à 5 compétitions internationales entre 2000 et 2009, en tandem avec Tommy Söderberg, avant de prendre la direction du Nigéria. Fort de son expérience aux Coupes du monde 2002 et 2010, ainsi qu’à l’Euro 2006, il est arrivé en Islande avec un projet solide, celui de qualifier l’Islande le plus vite possible dans un grand tournoi. Il apportait sa vision, sa connaissance tactique et son organisation rigoureuse. « C’est parce que le football est un sport qui privilégie l’organisation sur le terrain qu’une équipe de 3e division peut en battre une de 1re », soutient-il. Les joueurs internationaux, d’abord sceptiques à son arrivée, ont vite adhéré à son approche.

L’Euro 2016

Et Lars Lagerbäck a tenu parole. L’Islande s’est qualifiée pour la première fois de son histoire à une compétition européenne d’envergure, l’Euro 2016. Elle n’y a pas simplement fait acte de présence, mais elle l’a plutôt survolé en devenant l’équipe coup de cœur de cette édition. L’Islande bénéficiait de l’effet de surprise et les ténors de la compétition ne l’avaient pas assez prise au sérieux. Invaincue en phase de groupe, elle a battu l’Autriche et fait match nul avec la Hongrie et le Portugal. Ce qui ne fut pas au goût de Cristiano Ronaldo, insulté de ce que les insulaires festoient après le résultat contre l’éventuel gagnant de l’Euro. « L’Islande a célébré comme si elle avait gagné l’Euro! » grinçait-il, amer après le match nul. Une réaction pourtant bien légitime pour un petit pays qui venait de tenir à distance un favori. « Selon mon opinion, c’est une petite mentalité, ajoutait-il, c’est pourquoi ils ne feront rien. » Il ne pouvait pas plus se tromper. En huitième de finale, l’Islande a éliminé l’Angleterre, ce qui a fait dire à Gary Linecker, célèbre joueur anglais des années 80, « Nous avons été battus par un pays qui compte plus de volcans que de joueurs professionnels. » Et bon joueur, il a ajouté. « Bravo l’Islande ». Le parcours de rêve devait se terminer en quart de finale quand la France l’a emporté 5 à 2. Mais là, on avait pris l’adversaire au sérieux. Le retour triomphal de l’équipe dans ses terres de glace et de feu illustrait bien l’affection que tout le pays porte à « Nos gars », surnom de l’équipe nationale.

La Coupe du monde

Forte de cette confiance toute neuve, l’Islande a abordé les qualifications de la Coupe du monde avec assurance. Menée par Heimir Hallgrimsson qui était assistant de Lagerbäck et encore dentiste à temps partiel il n’y a pas si longtemps, elle a terminé première d’un groupe difficile formé de l’Ukraine, la Croatie, la Turquie, la Finlande et le Kosovo. Avec une fiche parfaite à domicile, quatre blanchissages réussis, on peut dire qu’elle a acquis sa qualification avec brio. En outre, il y eut certes un grand sentiment de satisfaction d’avoir devancé la Croatie, celle-là même responsable de son élimination en match de barrage pour la qualification de la Coupe du monde 2014, et de son éviction pour la Coupe du monde 2006!

Elle retrouve la Croatie dans le groupe D de la finale, où elle croisera également l’Argentine et le Nigéria. L’entame de la Coupe du monde ne sera pas facile avec l’Argentine comme premier client. Il lui faudra aller chercher trois points contre le Nigéria et tout se décidera au dernier match, contre la Croatie. En qualification, ils ont remporté chacun une victoire à domicile. On verra ce qu’ils feront en terrain neutre. La logique voudrait que l’Islande ne sorte pas de la phase de groupe, mais le football ne suit pas toujours la logique, surtout en Coupe du monde.

Séduire à nouveau

L’enthousiasme frise le délire en Islande, à l’approche du grand rendez-vous mondial. « To Russia with love », scandait le président islandais Gudni Johannesson. 66,000 demandes de billets pour assister à l’événement ont été déposées, ce qui équivaut à 20% de la population du pays, excluant cependant la présence d’officiels dû au boycott diplomatique de l’Islande suite à la crise entourant l’empoisonnement d’un ex-agent russe et de sa fille en Grande-Bretagne, attentat attribué à la Russie.

On se souviendra de la présence des 20,000 partisans en France à l’Euro,  qui y ont légué leur célèbre « clapping » à la planète foot toute entière. Avec son jeu simple et bien construit, son effort d’équipe, ses attaques agressives, sa défense solide et ses tactiques loin de l’improvisation, l’Islande prend le beau risque de séduire à nouveau. Reposant sur son collectif et non pas sur une star qui peut faire la différence, on attendra tout de même les Gylfi Sigurdsson, qui après avoir passé deux ans à Tottenham joue maintenant à Everton, Ragnar Sigurdsson qui fait carrière en Russie avec le Rostov depuis janvier dernier, et le capitaine Aron Gunnarson qui joue à Cardiff city.

Passée du 132e rang au classement FIFA en 2012 au 22e en 2018, cette fois l’Islande sera attendue. Son parcours fait un peu penser à celui de la Croatie (encore elle!) qui avait été le coup de cœur de l’Euro 1996 et avait terminé au troisième rang de la Coupe du monde subséquente. La similitude entre les deux parcours risque de ne pas aller jusque-là, mais chose certaine, l’Islande vendra chèrement sa peau. Le volcanologue Haroun Tazieff expliquait « Les volcans, c’est très simple. À 6 mètres on ne sent rien. À 4 mètres, on a chaud. À 2 mètres, on brûle ». C’est le danger qui guette les adversaires de l’Islande.