MONTRÉAL – Est-ce que le Canadien boude les joueurs de la LHJMQ ? « Moi, je pense qu’ils n’en veulent pas », a lancé un membre de l’état-major d’un club du circuit Courteau. « Tous les ans, on fait cet exercice avec Montréal. Pourtant, je ne pense pas que le Canadien va faire exprès pour ne pas repêcher des Québécois », a rétorqué un recruteur d’une équipe rivale de la LNH. 

Tout le monde sait que c’est un sujet qui fait déferler les passions au Québec. La chronique de Stéphane Leroux, qui exposait que le Canadien n’a repêché aucun espoir de la LHJMQ lors des quatre premières rondes depuis 2014 (0 en 29), et la réponse de Trevor Timmins le démontrent bien

On a discuté de la situation avec quatre intervenants d’expérience du milieu pour sonder leur avis. Le tout a été effectué sous le couvert de l’anonymat pour miser sur la transparence. 

« Ils disent toujours la même affaire, qu’ils veulent repêcher des Québécois, mais, dans le fond, ils n’en veulent pas. Je pense qu’ils croient que c’est trop difficile pour les joueurs québécois repêchés par Montréal. Ils reculent les Québécois sur leur liste. Quand ils n’en prennent aucun, ils disent qu’ils avaient d’autres joueurs classés avant », a lancé un dirigeant avec un bagage fort respecté. 

Quelques minutes plus tôt, un dépisteur d’une équipe de la LNH avait plutôt quelques arguments pour prétendre le contraire. 

« Tous les ans, on fait cet exercice avec Montréal. Pourtant, je ne pense pas que le Canadien va faire exprès pour ne pas repêcher des Québécois. Parfois, tu as un gars bien placé sur ta liste, mais tu en as un autre juste avant lui. Tu n’es pas pour prendre le deuxième uniquement parce qu’il vient du Québec », a commenté cet observateur. 

« Avec 31 équipes, il faut quand même que tu sois chanceux pour que le joueur que tu veux soit disponible au rang que tu veux. Il y a beaucoup de variables », a-t-il ajouté. 

Ça prendrait tout de même des raisons pour inciter le Canadien à préférer d’autres athlètes. 

« Mon opinion, de l’extérieur, c’est qu’ils se disent que c’est trop dur à cause de la pression. Ou peut-être qu’ils ne veulent pas de pression comme l’équipe en a vécue auparavant avec des cas comme (Guillaume) Latendresse », a mentionné cet employé haut gradé en référence aux partisans qui voulaient précipiter l’ascension de Latendresse avec le CH.  

ContentId(3.1375101):Francophones : le Canadien est-il à l'écoute des partisans? (LNH)
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Certes, ce dossier le dérange, mais il a tenu à ajouter cette précision. 

« Je n’ai rien contre ça qu’ils n’en veulent pas, mais qu’ils le disent », a proposé ce dirigeant. 

On a soulevé cet argument de la pression à un entraîneur de la LHJMQ qui a proposé sa solution. 

« Si tu as seulement un ou deux Québécois dans l’équipe, c’est ça qui arrive et c’est difficile pour eux. Mais si tu en as huit ou dix, la pression va se partager », a mentionné cet entraîneur qui prétend qu’un fort bassin québécois aiderait le Canadien à soulever la coupe Stanley de nouveau. 

Les dépisteurs sont habitués de composer avec les critiques puisque leur métier permet sans cesse aux amateurs de préférer une autre option. Quand il regarde le portrait et les nombreuses critiques dirigées vers le Tricolore, il réagit ainsi. 

« Je ne pense pas que les dirigeants du Canadien soient dans le champ. Les gens qui critiquent ne connaissent tous les espoirs du repêchage. C’est très facile de dire que le Canadien aurait dû prendre ce Québécois avant ce Suédois, mais ils n’ont pas toutes les informations pour faire des commentaires comme ceux-ci », a noté cette source en relayant à un tweet d’Andrew Zadarnowski disant que parmi les 51 joueurs de la LHJMQ repêchés avant le cinquième tour, entre 2014 et 2018, que le CH aurait pu sélectionner, seulement 4 (7,8%) ont joué 100 matchs ou plus dans la LNH tandis que Montréal a choisi 20 joueurs, aucun de la LHJMQ, selon ces critères et 3 (15%) ont atteint ce plateau.  

« Je pense que c’est avant tout un cri du cœur, les gens veulent voir des locaux avec le CH. Mais la responsabilité première de Trevor Timmins et son groupe demeurent de repêcher les meilleurs joueurs », a-t-il enchaîné. 

« C’est difficile à expliquer sur une longue période »

Le deuxième recruteur consulté émet toutefois un bémol. 

Bilan des choix de Trevor Timmins

« Je comprends que ça puisse arriver sur un ou deux repêchages, mais c’est difficile à expliquer sur une longue période. Sur une période de plus de cinq ans, c’est bizarre. Un moment donné, il faut que ça arrive. Tu peux te repositionner, Marc (Bergevin) aime ça faire des moves après tout. C’est là que ça devient embêtant », a insisté cet évaluateur de talent. 

Il s’agit d’un autre point intéressant puisque le Canadien disposait d’une immense banque de sélections au cours des trois derniers repêchages (11 joueurs repêchés en 2018, 10 en 2019 et 11 choix avant le lancement de l’encan 2020).

« Tout comme eux, il y a des espoirs du Québec qu’on ne voulait pas à tout prix dans les derniers repêchages. Si on parle de cette année, leur défenseur (Kaiden Guhle) est encore là et c’est correct. Mais ils n’auraient pas pu prendre deux choix de deuxième ronde pour aller chercher un Mavrik Bourque en fin de première ronde par exemple ? », a proposé ce recruteur. 

Pas de « vrais » dépisteurs au Québec ? 

Voilà un refrain qu’on entend très souvent dans le milieu comme piste d’explication : les dépisteurs du Canadien qui patrouillent le Québec, Serge Boisvert et Donald Audette, ne sont pas assez influents au sein de l’équipe de Timmins. 

« On va se dire les affaires, tsé, les Canadiens n’ont pas de vrais dépisteurs au Québec », a statué ce dirigeant d’une équipe de la LHJMQ.

« Un moment donné, ça fait 0 en 29, c’est impossible que tu ne puisses pas prendre un Québécois à un certain point avant la cinquième ronde dans les sept dernières années », a-t-il poursuivi.  

Un entraîneur de la LHJMQ, qui a choisi de répondre par texto, a martelé le même message. 

« Les équipes qui repêchent souvent des Québécois ont des recruteurs influents au Québec. »

Un troisième recruteur LNH a cependant tenu à ajouter cet élément. 

« Ce que je peux dire, c’est que Serge et Donald travaillent vraiment fort, ça ne vient pas d’eux. »

Oubliez « à talent égal … », la liste passe en premier 

S’il a un aspect moins bien cerné, c’est que les équipes se basent fortement sur leur liste au moment de choisir. Ainsi, le fameux cliché « à talent égal, on prend le joueur local » est très difficile à appliquer et on devrait l'éliminer de notre vocabulaire. Il faudrait pratiquement que les joueurs soient classés à égalité pour que ça se produise.  

« Les équipes travaillent toute l’année et elles se réunissent pendant une semaine pour bâtir la liste finale. Tu mets tout ce temps pour avoir cette liste. Que fais-tu si un Québécois ne tombe pas à ton rang ? Tu mets de côté tout ton travail et ta méthodologie prend le bord parce que tu veux prendre un Québécois. Là, je pense que tu irais directement dans le champ et tu vas tourner en rond pendant des années », a déclaré le premier recruteur. 

« C’est le meilleur moyen de démotiver tes recruteurs. C’est plate pour les autres dépisteurs qui travaillent toute l’année », a confirmé le deuxième dépisteur plus tard dans la journée.  

Le débat n’est pas terminé puisque le prochain repêchage n’aura lieu que dans plusieurs mois. Par contre, l’entraîneur de la LHJMQ consulté avait conclu avec cette option. 

« Les règles ne sont pas les mêmes pour la NCAA et le hockey junior. Peut-être qu’on devrait trouver une manière d’ajuster le tout pour que ce soit égal. Si c’est rendu que tu repêches des gars parce que tu as plus de temps pour les signer, c’est clair que ça va nuire aux ceux du hockey junior canadien. Les équipes prendraient sûrement plus de joueurs d’ici. »