Les chaussures de la tricherie
Dans le monde de la course à pied, il existe selon moi deux manières de tricher. Le dopage est certainement la plus connue et documentée. Même si des sommes importantes d'argent sont consacrées à attraper les fautifs, les dopés semblent toujours avoir un pas en avant sur leurs poursuivants.
L'autre façon de tricher est d'utiliser un équipement qui procure un avantage indu à celui qui l'utilise. Pas besoin de vous dire qu'en course à pied, cet avantage ne vient pas du chandail, des shorts ou de la casquette, mais plutôt des chaussures ! Les chaussures de la tricherie.
Même si la Fédération internationale d'athlétisme (IAAF) tente tant bien que mal de règlementer l'utilisation de chaussures avec plaque de carbone intégrée à la semelle pour permettre une meilleure explosion à chaque foulée, elle n'y arrive juste pas ! Elle tente donc de limiter les dégâts en exigeant que les semelles ne dépassent pas 40 millimètres d'épaisseur ou ne contiennent pas plus d'une plaque de carbone ou une plaque faisant la longueur totale de la semelle. Cette règle s'applique lors des compétitions sur route que l'IAAF sanctionne.
Pour toutes les autres courses non sanctionnées, c'est le Far-West !
Ce n'est pas un hasard si depuis la venue de ces nouvelles chaussures, les records tombent à un rythme fou. Un peu comme à l'époque des nouveaux maillots « magiques » LZR Racer Speedo en natation. On a vite fait de les interdire dans les bassins de compétitions tellement la controverse était grande et les records battus trop nombreux !
Où s'arrêtera le ridicule de ces chaussures de course aux semelles épaisses qui permettent à des coureurs élites d'enregistrer des marques personnelles ?
Le dernier exemple fascinant, mais également révoltant pour le puriste que je suis, est survenu au plus récent (8 octobre) championnat du monde Ironman, à Hawaï. Ce jour-là, le Norvégien Gustav Iden, un des meilleurs triathlètes de la planète, a fracassé le record de l'épreuve par près de 11 minutes (7h40 :24).
Après avoir nagé 3,8 kilomètres et pédalé 180 kilomètres, il a conclu le marathon avec un chrono de 2h36. C'est très rapide ! Il a reçu un coup de main (ou de pied) des chaussures qu'il portait : les nouvelles Cloudboom Echo 3 ultralégères avec plaque de carbone. Petit bémol toutefois, l'épaisseur de la semelle de ces chaussures est de 50 millimètres !
Iden avait le droit de porter de telles chaussures puisque les triathlètes professionnels n'ont pas à se conformer à une quelconque règlementation de la part de World Triathlon (WT), l'organisme officiel qui régit les compétitions. WT précise même qu'elle ne cautionne pas les règlements de l'IAAF au sujets des chaussures. Bref, la porte aux semelles surdimensionnées et avec plaque de carbone est toute grande ouverte.
Pourtant, de plus en plus d'amateurs, et même des participants élites, appellent World Triathlon à légiférer sur les souliers de course. Le Français Sam Laidlow, qui a terminé derrière Iden, et le Britannique Kristan Blummenfelt, qui a complété le podium, sont de ceux qui exigent des règles plus strictes.
Lors d'une entrevue livrée après sa victoire, Gustav Iden a admis que ses chaussures lui avait permis de survoler le parcours du marathon. « Sur les 10 derniers kilomètres, je sentais que j'avais un réel avantage grâce aux Cloudboom Echo 3. Ces souliers furent vraiment une motivation pour moi car je ressentais leur puissance et ils me donnaient tout de suite une impression de vitesse », a-t-il déclaré.
Je vous rappelle que Iden a couru les 42,2 kilomètres en 2h36 :15. C'est 3 minutes 30 secondes plus rapide que la marque de l'Allemand Patrick Lange, réalisée en 2016. Les records en course à pied se battent à coup de secondes à la fois. Pas par trois minutes et demie ! L'effet des chaussures est évidente.
Il est temps de mettre de l'ordre dans le fouillis des nouvelles chaussures à plaque de carbone. Je ne suis pas contre l'amélioration du matériel de course, mais un chrono devrait être basé sur la qualité d'un athlète, pas de ses chaussures !
Rien n'empêche un coureur de porter de tels souliers, mais les records ne devraient pas être inscrits dans les livres. C'est une question de respect à l'endroit de tous ceux qui courent ou ont couru sans cette technologie.
Je ferai probablement un jour l'essai de souliers avec lame de carbone à l'intérieur des semelles. C'est inévitable. Je sais aussi que je battrai probablement mes meilleurs temps, mais je sais assurément que cela ne sera pas représentatif du coureur que je suis!
Bonnes courses !